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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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a du mal à s’habiller, car il se sent
faible ; et son ordonnance, un soldat qu’il a envoyé aux nouvelles, n’est
pas encore revenue. Il finit par enfiler ses bottes, et, d’un pas hésitant, se
dirige vers la porte. Né à Ceuta il y a vingt-neuf ans, Jacinto Ruiz est mince,
de complexion délicate, mais énergique et très sourcilleux quand il s’agit de
son honneur de militaire. Il est de caractère timide, un peu réservé, du fait
de l’infirmité respiratoire qui le tient depuis l’enfance. Pour le reste, c’est
un patriote, il accomplit fidèlement ses obligations, il aime l’armée et la
gloire de l’Espagne, et, ces derniers temps, comme beaucoup de ses camarades,
il a cruellement souffert de l’abaissement de sa nation devant le pouvoir
napoléonien. Mais comme il n’a rien d’un exalté, il n’a jamais exprimé
d’opinions politiques en dehors du cercle fermé de ses amis intimes.
    Dans l’escalier, Ruiz croise un
gamin qui monte en courant et lui apprend que les Français tirent sur le
peuple, tandis que des groupes de civils marchent sur les casernes pour y
chercher des armes. Inquiet, Jacinto Ruiz sort dans la rue et presse le pas
sans répondre aux appels que plusieurs voisins, en voyant son uniforme, lui
adressent depuis les balcons pour lui demander des nouvelles. Il poursuit sans
s’arrêter en direction de la caserne de Mejorada, située au bout de la rue San
Bernardo, au numéro 83 qui fait le coin avec la rue San Hermenegildo, un peu
plus haut que le bâtiment de l’état-major de l’Artillerie. Ainsi, le plus vite
qu’il peut, mais sans modifier son allure pour ne pas faire mauvaise
impression, luttant contre la suffocation de ses poumons et malgré la fièvre
qui lui brûle le front sous son chapeau, l’humble lieutenant d’infanterie, dont
le nom n’est rien de plus qu’une courte ligne sur le tableau d’avancement de
l’armée, va rejoindre son régiment sans se douter que, près de la rue dans
laquelle il marche en ce moment, bien des années après cette longue journée qui
commence, un monument de bronze se dressera à sa mémoire.
    Ce qu’on entend au loin, ce sont des
tirs isolés, et non des feux nourris. Cela rassure un peu Antonio Alcalá
Galiano, qui parcourt le quartier en observant l’agitation des habitants. Ses
dix-neuf ans ne l’empêchent pas de constater l’évidence : les bandes sont
armées de façon si ridicule que cela semble une folie de défier les soldats
français. Et pourtant, ne résistant pas à l’ardeur de la jeunesse – mais plus
encore à cause des femmes qui regardent des balcons –, il s’est joint à un
groupe qui passe dans un grand tumulte devant l’église San Idelfonso. Il est
amoureux d’une Madrilène et c’est peut-être l’occasion d’avoir un exploit
héroïque, même minime, à lui raconter. La bande, composée de jeunes garçons,
est conduite par un homme qui a l’allure d’un ouvrier artisan et qui crie
« Vive le roi Ferdinand ! ». Alcalá Galiano lui emboîte le pas
jusqu’à la rue Fuencarral, où éclate une discussion animée à propos du chemin à
suivre : les uns veulent aller dans une caserne pour se joindre à la
troupe et se battre à ses côtés et en bon ordre, tandis que les autres
préfèrent tomber sur les Français partout où ils les trouveront, en leur
tendant des embuscades pour s’emparer de leurs armes et continuer ainsi par
sauts, en petites bandes qui attaqueront et s’enfuiront aussitôt par les rues
voisines et les terrasses. La discussion s’envenime et l’un des plus exaltés,
déguenillé et l’air mauvais, se tourne vers Alcalá Galiano.
    — Holà, l’ami, qu’est-ce que
vous en pensez ?
    D’être interpellé ainsi ne plaît
guère à l’orphelin bien élevé du héros de Trafalgar, qui, de plus, appartient à
l’école de Cavalerie de Séville, bien qu’habillé en civil. Contrarié mais
prudent, il répond qu’il n’a pas d’opinion sur la question.
    — Mais vous voulez tuer des
Français, oui ou non ?
    — Bien sûr que oui. Seulement,
je n’imagine pas le faire les mains nues… Je n’ai pas d’armes.
    — C’est de ça qu’on cause.
D’aller les prendre.
    Alcalá regarde les visages peu
amènes qui l’entourent. Ce sont presque tous des garçons de basse condition,
avec, parmi eux, beaucoup de gamins de la rue en haillons. Il n’est pas sans
remarquer non plus les regards méfiants posés sur son habit de bonne coupe et
son chapeau

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