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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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mène don José Albarrán, médecin de la
famille royale, qui, après avoir assisté au massacre de l’esplanade du Palais,
recrute une bande d’habitants armés de gourdins, de couteaux et de quelques
fusils de chasse, et tente de la faire passer par la rue San Bernardo. Arrêtés
par la mitraille que crachent deux canons français mis en batterie devant
l’hôtel du duc de Montemar, ils doivent se réfugier dans la rue San
Benito ; là, ils se voient pris entre deux feux, car une autre force
française qui vient de la place Santo Domingo tire sur eux depuis celle du
Gato. Le premier à tomber, d’une balle dans le ventre, est le plâtrier Nicolás
del Olmo García, âgé de cinquante-quatre ans. Le groupe se débande et le
docteur Albarrán, grièvement blessé et laissé pour mort – il sera sauvé plus
tard par ses amis et survivra –, est dépouillé par les soldats de l’armée
impériale qui lui prennent sa redingote, sa montre et douze onces d’or qu’il
portait sur lui. À son côté, après s’être battu avec pour seules armes une
petite épée d’apparat et un pistolet de poche, meurt Fausto Zapata y Zapata,
douze ans, cadet des Gardes espagnoles.
    Dans une maison de la rue de
l’Olivo, un garçon de quatre ans et demi, Ramón de Mesonero Romanos – qui sera
par la suite l’un des écrivains les plus populaires et les plus typiques de
Madrid –, est également la victime accidentelle des événements. En se
précipitant au balcon avec sa famille pour voir une troupe de Madrilènes qui
crient « Aux armes ! Aux armes ! Vive Ferdinand VII et mort
aux Français ! », le petit Ramón trébuche et s’ouvre le crâne sur le
fer forgé de la balustrade. Bien des années après, dans ses Mémoires d’un
septuagénaire, il racontera cet épisode : sa mère, Doña Teresa,
effrayée par l’état de son fils et par ce qui se passe dans la rue, allume des
cierges devant une image de l’Enfant Jésus et récite son rosaire, pendant que
le père – le négociant Tomás Mesonero – discute, inquiet, avec leurs voisins. À
cet instant se présente chez eux un ami de la famille, le capitaine Fernando
Butrón, qui vient de se défaire de son épée et de son uniforme afin, dit-il,
d’éviter que les gens qui courent les rues ne l’obligent, comme ils l’ont déjà
tenté à trois reprises, à se mettre à leur tête.
    — Ils vont partout, surexcités
et désorientés, en cherchant quelqu’un pour les diriger, explique Butrón, qui
reste en gilet et manches de chemise. Mais tous les militaires ont ordre
d’aller s’enfermer dans leurs casernes… Nous n’avons pas le choix.
    — Et ils obéissent tous ?
demande Doña Teresa Romanos qui, sans cesser de dire son rosaire, lui apporte
un verre de clairet frais.
    Butrón avale le vin d’un trait et
essaye la jaquette anglaise que lui offre le maître de maison. Les manches sont
un peu courtes, mais c’est mieux que rien.
    — Moi, en tout cas, je compte
obéir… Mais je ne sais pas ce qui se passera si cette folie continue.
    — Jésus, Marie, Joseph !
    Doña Teresa se tord les mains et
entame le vingtième Ave María de la matinée. Écroulé sur un canapé à côté de
l’image de l’Enfant Jésus, le petit Ramón Mesonero Romanos, un emplâtre imbibé
de vinaigre sur le front, pleure à chaudes larmes. De temps à autre, au loin,
retentissent des coups de feu.
    À la Puerta del Sol, dix mille
personnes sont rassemblées, et la foule se répand dans les artères voisines, de
la rue Montera au carreau de San Luis, de même que dans les rues Arenal et
Postas, et la Calle Mayor, tandis que des groupes armés d’escopettes, de
gourdins et de couteaux patrouillent aux alentours pour donner l’alerte en cas
de présence française. De la fenêtre de sa maison, au numéro 15 de la rue
Valleverde, au coin de la rue Desengaño, Francisco Goya y Lucientes, Aragonais,
âgé de soixante-deux ans, membre de l’Académie de San Fernando et peintre de la
Maison royale avec cinquante mille réaux de rente, regarde tout avec une
expression sévère. Deux fois, il a refusé de céder à son épouse, Josefa Bayeu,
qui lui demandait de rabattre le volet et de se retirer à l’intérieur. En
gilet, le col de la chemise ouvert et les bras croisés sur sa poitrine, sa tête
puissante, encore ornée d’une épaisse chevelure frisée et de favoris gris, un
peu penchée, le plus célèbre des peintres espagnols vivants s’obstine à rester
là pour

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