Un Jour De Colère
militaire.
— Ici, l’unique discipline
consiste à exécuter les ordres que je donne ! exige le colonel hors de
lui.
La position de Giraldes est
affaiblie par l’arrivée de Velarde, de Rovira et des hommes qui les suivent. Le
lieutenant Jacinto Ruiz, qui, malgré son asthme et sa forte fièvre, a réussi à
rejoindre son unité, écoute Velarde argumenter avec chaleur et constate que ses
propos exaltés enflamment encore davantage les esprits, y compris le sien.
— Nous ne pouvons pas rester
les bras croisés pendant qu’on assassine le peuple ! clame l’artilleur.
Le colonel ne veut pas en démordre,
et la situation frôle la mutinerie. Face à ceux qui affirment que si le
régiment sort dans la rue son exemple encouragera le reste des troupes
espagnoles, Giraldes oppose que cela ne fera qu’accroître le massacre en
rendant le conflit irréversible.
— C’est honteux ! insiste
Velarde, auquel officiers et civils font chorus. L’honneur exige que nous nous
battions, hors de toute autre considération !… Est-ce que vous n’entendez
pas les tirs ?
Le colonel commence à hésiter, et
cela ne passe pas inaperçu. Le ton de la discussion monte. Les éclats en
arrivent aux soldats en rangs dans la cour, et leurs commentaires se font plus
violents.
— Permettez-nous au moins,
insiste Velarde, d’aller prêter main-forte à nos camarades de Monteleón… Il n’y
a là-bas que quelques artilleurs avec le capitaine Daoiz, et les Français ont
dans le parc une force très supérieure… Vous serez responsable, mon colonel,
s’ils attaquent les nôtres.
— Je ne tolère pas que vous me
parliez sur ce ton !
Velarde n’est pas le moins du monde
intimidé.
— Que ce soit sur ce ton ou sur
un autre, vous serez responsable devant la patrie et devant l’Histoire !
Il a suffisamment haussé la voix
pour que les soldats des rangs les plus proches l’entendent. Dans la cour, les
murmures deviennent forts. Rouge de colère, les veines du cou sur le point
d’éclater dans le col haut et rigide de sa veste, Giraldes fait un geste vers
le portail.
— Sortez immédiatement de ma
caserne !
La réplique de Velarde résonne dans
toute la cour :
— Si je sors, je jure sur ma
conscience que je ne le ferai pas seul !
C’est le capitaine Rovira qui
propose une solution. Vu que le danger couru par les artilleurs du parc est
réel, on pourrait envoyer une petite troupe pour les garantir contre toute
tentative française. Une force officielle qui, en même temps, freinera les
civils qui se pressent dans la rue.
— Si la foule se déchaîne, ce
sera pire. Davantage d’uniformes espagnols maintiendraient la discipline.
Finalement, acculé, de moins en
moins assuré de pouvoir garder ses hommes sous son contrôle, le colonel se
rallie à cette issue comme à un moindre mal. À contrecœur, il accepte d’envoyer
un détachement à Monteleón. Pour cela, il choisit un de ses capitaines les plus
pondérés : Rafael Goicoechea, au commandement de la 3 e compagnie du 2 e bataillon, qui a sous ses ordres trente-trois fusiliers,
les lieutenants José Ontoria et Jacinto Ruiz Mendoza, le sous-lieutenant Tomás
Bruguera et les cadets Andrés Pacheco, Juan Manuel Vázquez et Juan Rojo. Les
instructions orales que reçoit Goicoechea sont de ne se livrer à aucun acte
d’hostilité contre une force française. Après quoi, nantis de munitions, fusils
à l’épaule, chef et officiers en tête, les Volontaires de l’État quittent la
caserne et descendent la rue San Bernardo vers la fontaine de Matalobos, la rue
San José et le parc d’artillerie. Ils sont accompagnés de Velarde, de Rovira et
de la vingtaine de civils qui manifestent leur joie. Les voisins applaudissent
et lancent des vivats, et certains leur emboîtent le pas. Devant, précédant la
troupe, toujours malade, brûlant de fièvre et respirant avec difficulté, le
lieutenant Jacinto Ruiz se force à se tenir droit. En passant au coin de la rue
San Dimas, Ruiz voit le père du cadet Andrés Pacheco, l’exempt des Gardes du
Corps José Pacheco, qui, du haut de son balcon, ayant aperçu son fils parmi ceux
qui marchent sur Monteleón, descend en grande hâte en ceignant son sabre et,
sans dire un mot, s’unit à la troupe.
— Ils sont là !… Les
Maures arrivent !
Quand l’avant-garde de cavaliers
débouche du cours San Jerónimo sur la Puerta del Sol, entre l’hôpital et
l’église du Buen Suceso et le couvent de la
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