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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Victoria, le premier mouvement de
la foule désarmée est de s’égailler dans les rues voisines, esquivant les
chevaux lancés au galop et les cimeterres des mamelouks qui font des moulinets
au-dessus de leurs têtes enturbannées et taillent en pièces les gens qui
courent sans pouvoir se défendre. Pris dans la débandade générale, le prêtre de
Fuencarral, don Ignacio Pérez Hernández, essaye de se réfugier sous un porche.
Là, au moment où il porte secours à un vieil homme qui est tombé par terre et
s’expose à être piétiné, il entend jaillir de toutes parts des cris de colère
qui exhortent à ne pas reculer et à faire face.
    — Arrêtez-vous, nom de
Dieu !… Sus aux gabachos maures ! Ne les laissons pas
passer ! Ne les laissons pas passer !
    Épouvanté, le prêtre entend autour
de lui les clic-clac des innombrables couteaux qui s’ouvrent. Des navajas
d’Albacete à manche de corne et cran d’arrêt, avec des lames d’un ou deux
empans, que les hommes sortent de leurs larges ceintures, de leurs poches, de
sous les capotes et les vestes, pour se lancer en les brandissant, aveugles,
ivres de rage, à la rencontre des cavaliers qui avancent.
    — Vive l’Espagne et vive le
roi !… Sus aux Maures ! Sus aux Maures !
    Le choc est brutal, d’une sauvagerie
indescriptible. Les Madrilènes, dont certains sont pris d’une telle fureur
qu’ils ne se soucient plus du danger, se jettent entre les jambes des chevaux,
attrapent les rênes et agrippent les selles, plantent leurs lames dans les
jambes, les ventres des mamelouks, étripent les chevaux qui tombent les fers en
l’air en se débattant dans leurs propres entrailles.
    — Sus aux Maures ! Pas de
quartier !
    Les mamelouks continuent d’arriver à
bride abattue. Les chevaux butent sur les corps à terre et poursuivent leur
course en ruant et en se cabrant, secouant les hommes qui s’accrochent à eux en
grappes obstinées et féroces pour tenter de désarçonner les cavaliers, sans se
protéger des coups de sabres, tandis que de tous les coins de la place
accourent des habitants en délire, avec des couteaux, des fusils de chasse et
des escopettes qu’ils déchargent à bout portant sur la tête des chevaux et la
poitrine des cavaliers. Tout mamelouk qui tombe à terre est frappé de huit ou
dix coups de couteaux, et, à mesure qu’affluent les cavaliers et que les
uniformes verts et les casques étincelants des dragons français viennent se
mêler aux vêtements multicolores des mercenaires égyptiens, la tuerie gagne le
centre de la place, tandis que, du haut des balcons, les voisins tirent à la
carabine et au fusil de chasse, lancent des tuiles, des bouteilles, des briques
et même des meubles. Des femmes attendent sous les porches pour donner des
coups de ciseaux ou de couteaux de cuisine, beaucoup d’habitants lancent des
armes à ceux qui se battent en bas, et les plus audacieux, les yeux exorbités
par la volonté de tuer, hurlant de colère, sautent sur la croupe des chevaux
et, cramponnés aux cavaliers, les poignardent et les égorgent, tuent, meurent
et s’effondrent, frappés de coups de sabres, tombent à genoux sous les chevaux
ou roulent à terre avec leurs ennemis agonisants, mêlant leur sang au leur,
plantant leurs navajas au milieu des vociférations des hommes des deux camps,
des hennissements des bêtes éventrées qui battent l’air de leurs sabots. Ainsi
périssent, poignardés, vingt-neuf des quatre-vingt-six mamelouks qui composent
l’escadron ; parmi eux, le légendaire Mustafa, le héros d’Austerlitz,
maîtrisé par les Asturiens Francisco Fernández, domestique du comte de la Puebla,
et Juan González, domestique du comte de Villaseca, tandis que le maçon Antonio
Meléndez Álvarez, un Léonais de trente ans, lui tranche la gorge avec sa navaja
à cran d’arrêt. Le colonel Daumesnil, qui commande l’avant-garde française, a
deux chevaux tués sous lui à coups de couteaux, et n’est lui-même sauvé que
grâce à ses mamelouks et ses dragons qui viennent à son secours.
    — Il en vient d’autres, tenez
bon !… Vive le roi Ferdinand !… Vive l’Espagne !
    Ensanglantées jusqu’aux manches, les
navajas n’ont pas de repos. Nombre de cavaliers, épouvantés par le mur humain
sur lequel ils se brisent, font volte-face et s’éloignent en contournant le
Buen Suceso vers la rue d’Alcalá, où d’autres habitants les assaillent ;
mais le cours San Jerónimo continue de vomir

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