Un Jour De Colère
des vagues de cavalerie impériale,
et la foule des combattants subit des pertes terribles. Près de la fontaine de
la Mariblanca, le maçon Meléndez reçoit un coup de sabre qui lui fend le crâne.
Un commis boutiquier de la rue Montera nommé Buenaventura López del Carpio, qui
accourt pour se battre avec son camarade Pedro Rosal, est atteint d’une balle
en pleine figure ; et, à son côté, piétinés par les chevaux dont ils ont
saisi les rênes, tombent le Minorquin Luis Monge, le portefaix Ramón Huerto, le
Napolitain Blas Falcóne, le journalier Basilio Adrao Sanz et María Teresa de
Guevara, qui habite rue Jacometrezo. Beaucoup commencent à fléchir et courent à
la recherche d’un refuge, et, en peu de temps, il ne reste plus guère à la
Puerta del Sol que quelque trois cents hommes et de rares femmes qui se battent
comme ils le peuvent, se réfugiant dans les rues voisines et sous les porches
pour reprendre leur souffle ou esquiver les charges des formations plus
compactes de cavalerie, puis revenant assaillir les cavaliers isolés qui
sillonnent la place pour la nettoyer. Les frères Rejón et leur camarade, le
chasseur de Colmenar Mateo González, qui se battent au corps à corps, se voient
obligés de reculer jusqu’aux grilles du parvis du Buen Suceso par une nouvelle
vague de dragons qui disperse leur groupe à coups de pistolets et de sabres en
tuant une femme du peuple, Ezequiela Carrasco, le maréchal-ferrant Antonio
Iglesias López et le cordonnier de dix-neuf ans Pedro Sánchez Celemín. Parmi
ceux qui, navaja à la main, se réfugient dans le Buen Suceso, Mateo González
reconnaît avec stupeur l’acteur Isidoro Máiquez, qui est sorti se battre au
côté du peuple.
— Sacredieu ! Ne me dites
pas que vous êtes Máiquez…
Le célèbre comédien, qui a quarante
ans, est habillé avec recherche : élégante veste courte, pantalon de daim,
guêtres de drap et mouchoir retenant ses cheveux. En entendant son nom, il
sourit d’un air fatigué tout en essuyant du revers de la main le sang sur son
visage – un sang qui, semble-t-il, n’est pas le sien.
— Mais si, mon ami, répond-il
aimablement. En personne, et à votre service.
Mateo González, dont les jambes
n’ont pas tremblé devant les mamelouks, en a le souffle coupé. Quel dommage,
pense-t-il, qu’il ne reste pas une goutte de vin dans l’outre des frères Rejón
pour célébrer cette rencontre.
— Je vous ai vu jouer don Pedro
dans La Comédie nouvelle… Impressionnant !
— Je vous remercie beaucoup,
mais ce n’est pas le moment. Occupons-nous plutôt de notre affaire.
Le répit dure peu. À peine passé le
gros de la nouvelle charge française, tous, Máiquez compris, ressortent dans la
rue, sur le pavé glissant de sang. José Antonio López Regidor, trente ans,
reçoit une balle à bout portant juste au moment où, ayant réussi à se jucher
sur la croupe du cheval d’un mamelouk, il lui plantait son poignard dans le
cœur. D’autres tombent aussi, et parmi eux Andrés Fernández y Suárez, comptable
à la Compagnie royale de La Havane, âgé de soixante-deux ans, Valerio García
Lázaro, vingt et un ans, Juan Antonio Pérez Bohorques, vingt ans, palefrenier
aux Gardes du Corps royales, et Antonia Fayola Fernández, une habitante de la
rue de la Abada. Le noble du Guipúzcoa José Manuel de Barrenechea y Lapaza, de
passage à Madrid, qui est sorti ce matin de son auberge en entendant le tumulte
avec une canne-épée, deux pistolets de duel à la ceinture et six cigares de La
Havane dans une poche de sa redingote, reçoit un coup de sabre qui lui fend la
clavicule gauche jusqu’à la poitrine. À quelques pas de là, au coin de l’hôtel
des Postes et de la rue Carretas, les petits José de Cerro, dix ans, qui va
pieds et jambes nus, et José Cristóbal García, douze ans, résistent à coups de
pierres à un dragon de la Garde impériale avant de mourir sous son sabre.
Pendant ce temps, le prêtre don Ignacio Pérez Hernández, épouvanté par tout ce
qu’il voit, a ouvert le couteau qu’il portait dans sa poche. Les pans de sa
soutane retroussés jusqu’à la taille, il bataille de pied ferme au milieu des
chevaux, avec ses paroissiens de Fuencarral.
4
Lorsque le capitaine Pedro Velarde
arrive au parc de Monteleón avec le détachement de Volontaires de l’État et les
civils qui les accompagnent, la foule dans la rue San José dépasse le millier
de personnes. En voyant apparaître les
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