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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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fourreau qu’il tient dans la main gauche,
les yeux rivés sur l’embouchure du cours San Jerónimo, le marin dirige ses
grenadiers en priant Dieu de lui permettre d’arriver à temps et sans incidents
sur la promenade du Prado.
    — Maintenez le pas… Droit
devant vous !
    La marche, toujours au pas accéléré,
conduit le détachement devant le Buen Suceso, puis au bas du cours San
Jerónimo, où Esquivel observe que les attroupements se font moins denses,
s’éclaircissent, et finissent par ne plus être que des petits groupes
rassemblés sous les porches et aux coins des rues, portant escopettes, bâtons
et couteaux. En trois occasions, quand il passe aux carrefours des rues qui
mènent à Santa Ana, ils essuient quelques coups de feu tirés de loin –
impossible de savoir s’ils sont français ou espagnols – sans dommages, émotion
mise à part. Tandis qu’il maintient l’allure, dans le fracas des bottes
résonnant sur le pavé, et à mesure que le détachement se rapproche du carrefour
du cours San Jerónimo et du Prado, Esquivel se rassérène, jusqu’au moment où il
aperçoit, en train de descendre la côte et d’avancer dans sa direction, la
colonne étincelante et compacte de la cavalerie française dont la queue vient à
peine de quitter le Buen Retiro et la tête n’est plus qu’à quelques centaines
de mètres.
    — Sainte Vierge !
s’exclame le sergent derrière lui.
    Esquivel se retourne et rugit :
    — Gardez la formation !…
Têtes fixes !… Tournez à gauche !
    Et ainsi, quelques instants à peine
avant que la cavalerie impériale contourne la fontaine de Neptune, ses
grenadiers, impassibles, fixant le vide comme s’ils ne voyaient pas la masse
menaçante des hommes et des chevaux, défilent au pas de gymnastique devant les
cavaliers surpris de l’avant-garde française, et leur petit détachement tourne
le coin pour s’éloigner sous les arbres de la promenade du Prado, sain et sauf.
    Vers onze heures et demie, au moment
où l’avant-garde de la cavalerie avance vers la Puerta del Sol, le reste des
troupes impériales cantonnées aux alentours de Madrid a quitté ses quartiers et
se dirige vers les portes de la ville, obéissant aux ordres de suivre les
grandes artères et de converger vers le centre. En voyant se multiplier la
présence des Français et en constatant que, dans leur progression, ils tirent
sans sommation sur tous les rassemblements de civils qu’ils rencontrent sur
leur passage, ceux des habitants qui sont toujours dans la rue cherchent
désespérément des armes. Ils en obtiennent parfois en assaillant des boutiques,
des salles d’escrime, des coutelleries, ou en mettant à sac l’Armurerie royale,
d’où certains ressortent avec des cuirasses, des hallebardes, des arquebuses et
des épées du temps de Charles Quint. À la même heure, par le mur arrière de la
caserne des Gardes espagnoles, des soldats passent des fusils et des cartouches
à la foule qui les réclame, pendant que les officiers détournent les yeux
malgré les ordres reçus. Le colonel don Ramón Marimón, arrivé dès le début des
troubles, a juste eu le temps d’empêcher la garnison, qui s’était déjà mise en
rangs, de sortir dans la rue. Malgré tout, cinq soldats en uniforme, parmi
lesquels le Sévillan de vingt-cinq ans Manuel Alonso Albis et le Madrilène de
vingt-quatre ans Eugenio García Rodríguez, sautent le mur et se mêlent aux
insurgés. De cette manière se constitue un parti d’une trentaine de soldats et
de civils, qui compte José Peña, un cordonnier de dix-huit ans, José Juan
Bautista Monténégro, domestique du marquis de Perales, habitant rue de
l’Olivar, le Madrilène Juan Eusebio Martín et l’ouvrier ferronnier de quarante
ans Julián Duque. Ensemble, ils se dirigent vers la promenade du Prado par les
vergers de San Jerónimo et le Jardin botanique, à la recherche de Français. Ils
se battront là, avec une âpreté extraordinaire et en causant des pertes à
l’ennemi, contre des éléments de la cavalerie qui descendent du Buen Retiro et
des unités de l’infanterie impériale qui commencent à monter de la promenade de
Las Delicias et de la porte d’Atocha.
    Tandis que les heurts entre
Madrilènes et avant-gardes des colonnes françaises se généralisent le long du
Prado, le valet des Écuries royales Gregorio Martínez de la Torre, âgé de
cinquante ans, et José Doctor Cervantes, âgé de trente-deux, qui marchaient
vers la caserne

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