Un Jour De Colère
reine María Luisa. Au moment où il veut secourir ce dernier qui
rampe sur le pavé en laissant une traînée de sang, Pedro Blázquez, maître
d’école, célibataire, est attaqué par un grenadier français qu’il doit
affronter avec la seule arme qu’il portait dans sa poche, une lame à tailler
les plumes. Poursuivi jusque dans une cour intérieure, Blázquez parvient à
semer le grenadier et retourne aider Domingo de Lama, qu’il remet aux soins de
voisins. Le maître d’école prend alors le chemin de sa maison, située rue
Hortaleza, mais la malchance veut qu’en tournant le coin d’une rue il se trouve
face à face avec une sentinelle française postée là, baïonnette au canon.
Conscient que, s’il s’écarte, ce dernier lui tirera dessus, Blázquez se colle
étroitement à lui, tente de lui planter sa lame dans la gorge et reçoit en
retour un coup de baïonnette dans le flanc ; il parvient quand même à se
dégager et à fuir par la rue Las Infantas, pour se réfugier chez une personne
de sa connaissance, Teresa Miranda, célibataire, maîtresse dans une école de
filles. Terrorisée par le tumulte, l’institutrice n’ouvre la porte qu’après
s’être fait beaucoup prier et voit Blázquez devant elle, ensanglanté, son
taille-plume encore à la main, avec un air qu’elle qualifiera plus tard, en en
parlant à des amis, d’« homérique et viril ». En le faisant entrer,
et pendant qu’il se met torse nu pour qu’elle panse sa blessure, la célibataire
tombe éperdument amoureuse du maître d’école. Le temps des fiançailles dûment
respecté et une fois les bans publiés, un an plus tard, Pedro Blázquez et
Teresa Miranda se marieront en l’église de San Salvador.
Pendant que Teresa Miranda soigne le
coup de baïonnette du maître d’école, dans le centre de la ville les combats se
poursuivent. Les troupes impériales ont beau rester déployées dans les grandes
avenues, ni les charges de cavalerie ni le feu nourri de l’infanterie ne
réussissent à dégager définitivement la Puerta del Sol, où des groupes
d’habitants continuent d’attaquer depuis le Buen Suceso et les rues voisines,
sans que les énormes pertes et la violence de la riposte qu’ils subissent
parviennent à les affaiblir. Même chose place Antón Martín, à Puerta Cerrada,
dans la partie haute de la rue Toledo et sur la Plaza Mayor. Sur celle-ci, sous
la voûte de la rue Nueva, les artilleurs français d’un canon de huit livres se
voient assaillis par une cinquantaine d’hommes déguenillés, sales et hirsutes,
qui se sont approchés par bonds, en petites bandes, et en s’abritant sous les
porches et les arcades. Il s’agit des prisonniers libérés de la Prison royale
proche, sur la place de la Province, qui, après avoir fait un détour, tombent
sur les Français avec la sauvagerie propre à leur dure condition, armés de
barres de fer, de couteaux et de toutes les armes qu’ils ont pu prendre en
chemin. Attaqués de plusieurs côtés à la fois, les artilleurs sont taillés en
pièces sans pitié près de leur canon, et dépouillés de leurs vêtements, fusils,
sabres et baïonnettes. Après avoir consciencieusement détroussé les cadavres,
sans oublier les dents en or, les attaquants, dûment conseillés par un Galicien
dénommé Souto – qui affirme avoir servi à bord du vaisseau San Agustín à
la bataille de Trafalgar –, retournent le canon et prennent en enfilade le
débouché de la rue Nueva sur la porte de Guadalajara, pour tirer sur
l’infanterie française qui progresse depuis les Conseils.
— De la mitraille !…
Mettez de la mitraille, c’est ce qui fait le plus de dégâts !… Et
refroidissez le canon avant, pour que la poudre ne s’enflamme pas !… C’est
ça !… Et maintenant, le boutefeu !…
Encouragés par leur férocité,
d’autres civils isolés ou en déroute grossissent la bande retranchée dans
l’angle nord-ouest de la place. Aux prisonniers viennent ainsi s’ajouter, entre
autres, les Asturiens Domingo Girón, âgé de trente-six ans, marié, charbonnier
de la rue Bordadores, et Tomás Güervo Tejero, vingt et un ans, domestique de
M. Laforest, ambassadeur de France. Et d’autres encore, qui accouraient
par la rue Postas après une nouvelle charge française qui les avait
dispersés : le Murcien Felipe García Sánchez, quarante-deux ans, invalide
de la 3 e compagnie, et son fils – cordonnier de son métier – Pablo
Policarpo García
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