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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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toujours, Pedro Velarde se détache de son rang, tire
son épée et la lève pour la croiser avec le sabre de Daoiz.
    — Plutôt morts
qu’esclaves ! s’écrie-t-il à son tour.
    Un troisième officier sort des
rangs. C’est le lieutenant Jacinto Ruiz qui, d’un pas que la fièvre rend
vacillant, rejoint les deux capitaines, tire également son sabre et en croise
la lame avec des deux autres. Soldats et officiers les acclament. Quant à
Rafael de Arango, il demeure immobile à sa place, le sabre au fourreau.
Résigné. Le jeune homme a la bouche sèche et amère comme s’il avait mâché des
grains de poudre. Il se battra, c’est sûr, puisque c’est inévitable. Jusqu’à la
mort, comme c’est son devoir. Mais maudit soit le sort qu’il l’a conduit à
mourir ici.
    Impressionnés, bouche bée de
stupéfaction, le marchand de charbon Cosme de Mora et ses hommes, tête baissée
et silencieux, épient les Français par les fentes des portes et des volets
fermés des fenêtres. Les quinze hommes, parmi lesquels figurent Antonio et
Manuel Amador avec leur petit frère Pepillo, occupent un atelier de sparterie
qui donne sur la rue San José, au rez-de-chaussée d’une maison voisine du
couvent de Las Maravillas.
    — Sainte Vierge, priez pour
nous ! murmure entre ses dents le charpentier Pedro Navarro.
    — Silence, nom de Dieu !
    Les Français qui arrivent de la rue
Fuencarral sont nombreux. Au moins une compagnie entière, estime le portier de
tribunal Félix Tordesillas, qui a eu, dans sa jeunesse, quelque expérience
militaire. Ils marchent au tambour et en rangs, arrogants, drapeau tricolore
déployé. À l’étonnement des civils qui les observent cachés, tous, officiers et
soldats, portent le haut shako caractéristique des Français, mais leurs vestes
d’uniforme ne sont pas bleues, elles sont blanches avec des revers boutonnés
azur. Ils sont précédés de sapeurs qui portent des haches et de deux officiers.
    — Ceux-là ont vraiment l’air
mauvais, chuchote Cosme de Mora. Que personne ne tire, et pas un bruit, sinon
nous sommes cuits.
    Le tambour français s’est tu et, par
les fentes, ils voient les deux officiers s’avancer vers la porte de la
caserne, appeler d’une voix forte en frappant à coups de poings, et inspecter
les alentours. Puis l’un des officiers profère un ordre, et une vingtaine de
sapeurs et de soldats commencent à donner des coups de hache. Dans la
sparterie, monté sur un tas de sacs de jute neufs, un œil collé à la fente du
volet, le blanchisseur Benito Amégide y Méndez se passe la langue sur les
lèvres et chuchote avec son voisin le barbier Jerónimo Moraza.
    — Est-ce que tu crois qu’à
l’intérieur, ils vont…
    Un coup de tonnerre lui coupe le
souffle et la parole, tandis que l’onde de choc de trois explosions
successives, répercutées par les murs de la rue, fait voler en éclats les
vitres des fenêtres et répand une nuée de gravats, de morceaux de bois, de
plâtre et de briques qui retombent en crépitant. Hébétés, sans prendre le temps
de se remettre de leur surprise, Cosme de Mora et ses hommes se précipitent
dans la rue, fusils à la main, et ce qu’ils voient les laisse stupéfaits :
les portes du parc ont disparu et, sous l’arc de fer forgé, ne pendent plus que
des pans de bois brisés accrochés à leurs gonds. Devant, dans un espace
semi-circulaire de quinze à vingt mètres, le sol est jonché de décombres, de
sang et de corps mutilés, tandis que les Français survivants courent en se
bousculant dans un désordre total.
    — Ils leur ont tiré dessus de
l’intérieur !… Ils ont fait tirer les canons à travers les portes !
    — Vive l’Espagne !
Tuez-les tous ! En avant ! En avant !
    La rue se remplit de civils qui
tirent sur les fuyards et les poursuivent jusqu’à la fontaine Neuve de Los
Pozos, au croisement de la rue Fuencarral. L’enthousiasme est délirant. Des
maisons sortent des hommes, des femmes et des enfants qui s’emparent des armes
abandonnées par l’ennemi en déroute, tirent sur les Français encore en vue,
achèvent les blessés à coups de navajas et de coutelas, et dépouillent les
corps de tout ce qui peut servir, armes, munitions, argent, bagues ou uniformes
intacts.
    — Victoire ! Ils
s’enfuient !… Victoire !… À mort les gabachos  !
    En toute naïveté, la foule –
d’autres groupes d’habitants viennent maintenant se joindre aux civils armés –
veut courir

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