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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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du bonhomme telles des mouches attirées par le miel. Maintenant, elles s’excitaient de la voix en découvrant que le visiteur était un ecclésiastique – quelque chose comme cela – et plutôt jeune. Un curé, oui, ce n’était pas fréquent.
    — Pourquoi perds-tu ton temps avec Paillard ? s’aventura une fille dont la chemise déchirée ne cachait rien de sa poitrine. Il y a mieux ici.
    — Viens plutôt de mon côté, beugla une autre en écartant sa concurrente. La garce qui t’aguiche ne t’offrira que la vérole.
    Elle passa la langue sur ses lèvres.
    — Veux-tu goûter à mon calice ?
    Elle souleva sa jupe. Elle était nue.
    — Bénis-moi, mon père, gémit une troisième en s’agenouillant devant le jésuite, les cuisses écartées.
    Marolles, ne perdant rien de son calme, détourna le regard et prit Paillard par le coude.
    — Allons plus loin, murmura-t-il.
    Les filles s’écartèrent à regret, injuriant l’étrange assemblage qui s’enfonçait dans le noir, filait vers l’ancienne île de la Gourdaine 1 .
    — Ce diable s’est entiché de la vieille, beugla l’une d’elles.
    — Et sa corne se cache sous son habit, cracha une seconde.
    La Paillard suivait sans desserrer la bouche. L’expérience lui enseignait d’attendre la suite. Et de gueuler au loup, si nécessaire.
    Ils entrèrent dans les jardins du Vert-Galant 2 . La nuit avalait les silhouettes. La sorcière cherchait le piège même si, en effet, cette fille, Marie, était venue la voir parce qu’elle n’avait pas les moyens de s’offrir une vraie sage-femme. Ses yeux imploraient l’accoucheuse. Acceptait-elle de l’assister ? Plutôt que de partager sa détresse, la vieille avait calculé le prix du service. Une livre payée de suite, soit vingt sous.
    — Vous a-t-elle versé la somme ? lui demanda le prêtre.
    — Sûr que non, mentit-elle. Ce n’est pas des façons honnêtes !
    Joseph de Marolles fit mine de la croire sur parole.
    — Ne lui dites rien quand elle viendra, mais je paye pour elle.
    Une main se glissa dans les plis sombres de la soutane. En lui tendant la pièce, les ongles de l’ecclésiastique caressèrent la paume de la mère Paillard. Ils étaient longs, taillés proprement comme les nobles savent le faire. Sans rien dire, elle empocha l’autre livre se promettant de cacher ce trésor à Marie afin de toucher deux fois la solde.
    — C’est pour bientôt, affirma le jésuite. Elle ne tardera pas à perdre les eaux.
    Elle ne chercha pas à comprendre pourquoi il semblait bien informé.
    L’entretien ne dura guère plus longtemps. Marolles tourna le dos et prit la direction de la rue de Harlay. À vingt pas, il ajouta qu’il la retrouverait après l’Angélus pour baptiser le nouveau-né. Et pour faire autre chose encore, lança-t-il tandis que sa voix s’éloignait. Sans préciser quoi. Il viendrait donc au matin, et il l’avait fait.

    Marolles avance, voit l’enfant et se signe. Tout de sa méthode laisse croire qu’il s’agit vraiment d’un prêtre.
    — Vous êtes en retard, grince la vieille. Pour un peu, le ciel lui prendrait son âme.
    Son menton ridé pointe le nourrisson.
    — Il a faim. Il gueule depuis qu’il est né… Moi, j’en ai fini avec eux deux ! Il faut m’en débarrasser…
    Le prêtre comprend-il la menace ? Il achève une courte prière un genou en terre et, en se relevant, époussette sa soutane.
    — L’office de la matinée a été plus long que prévu, répond-il calmement. La cause en est la naissance du Dauphin. Et en venant ici, j’ai dû fendre une foule énorme. Les rues débordent de monde et…
    — Je sais ! le coupe-t-elle en se rapprochant. J’entends ces gueulards depuis des heures. Je m’en moque. Que fait-on pour le chiard et sa mère ? Vous m’avez dit que vous veniez le baptiser et pour autre chose encore. C’est quoi ?
    Le jésuite écarte la Paillard d’un geste autoritaire. Il regarde la jeune maman inanimée, comme morte, et détourne aussitôt le regard pour s’intéresser à l’enfant assoupi dont la respiration est hachée. Puis il se penche, touche son front, glisse sa main sur la cicatrice barrant sa joue gauche. Marolles le baptisera sur-le-champ. Il sort de la poche de sa soutane un christ en bois et commence. Paillard n’y connaît rien en matière de religion, mais s’étonne que la célébration se limite à un signe de croix sur le front fuyant de l’innocent. Ni cierge allumé ni onction avec le saint chrême.

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