Un jour, je serai Roi
de l’île de la Cité.
Deuxième Partie
Indomptable et indestructible
Chapitre 6
C’ EST EN SEPTEMBRE , le 5 précisément, de l’an 1642. Le moment ne peut être mieux choisi pour ce que Louis XIII compte faire. Le roi se rend à Versailles dès le petit matin, et un temps idéal l’accompagne. Quand la brume légère se sera évanouie, le ciel radieux d’un été finissant viendra réchauffer une terre grasse, apaisée, gorgée de parfums enivrants. Déjà la rosée se retire, son travail fait. De fines gouttelettes s’accrochent aux éclats éblouissants des premières fleurs d’automne, colchiques, cyclamens, chrysanthèmes, dont les robes chatoyantes rivalisent d’audace, invitent à l’indolence. Un coq du cloître de Notre-Dame vient de chanter, un chien aboie, une charrette grince dans la rue. Une brise légère fait danser le vert encore éclatant des feuilles des arbres des Tuileries. Ici et là, on s’éveille et les corps se sentent en harmonie avec l’esprit. Sans pouvoir dire pourquoi, les heures qui s’annoncent seront comme on les aime, douces, sereines, à l’image du futur Éden.
Dans la cour du Louvre, un carrosse s’élance ; les sabots des chevaux raclent le pavé, troublant la quiétude ouatée dans laquelle paressait Paris. Ce départ matinal ne surprend pas les familiers. Le roi s’en va à la chasse, dans son domaine, chez lui plus que nulle part ailleurs. Sa tenue est austère car ses goûts le sont depuis l’édit somptuaire de 1633 qui proscrit l’exubérance. Désormais, l’habit se porte sombre et sans dentelles. Ce matin, le roi n’a pas dérogé à sa règle. Les manches de sa veste de coton, fendues dans la longueur comme des lanières reliées entre elles de l’épaule au poignet, laissent deviner que la chemise est blanche, telle celle des bourgeois. Ses bottes montent aux genoux où se montrent des bas de laine et non de soie. Sa cape, taillée dans une étoffe unie, n’affiche aucun ornement, ni or ni argent. Son visage seul illumine l’ensemble. Le roi est heureux quand il devient chasseur, quand il s’en retourne à Versailles. Alors il oublie le mal qui ronge ses entrailles et le tue lentement. Quand il s’est levé, à l’aube, l’air et le vent lui ont fait comprendre qu’il s’agirait d’un beau moment, qu’une nature bienveillante l’accompagnerait lors de ce qui sera peut-être l’une des dernières occasions d’assouvir sa passion 1 .
En quittant Paris, Sa Majesté retrouve vite la colline de Saint-Cloud, ultime frontière avant cette route plate et sèche sur laquelle le cocher réclame le meilleur à l’équipage, quatre chevaux mordant le cuir, impatients d’en découdre, de voler s’ils le pouvaient jusqu’à Versailles. La sortie se fait sans courtisan, l’escorte se limite à l’essentiel. Six cavaliers armés de fer, voilà pour assurer la protection du monarque. Si on ajoute l’habile conducteur du carrosse qui claque le fouet au ras de l’encolure de ses puissants entiers, ils sont neuf car, dans l’attelage royal, se trouve un second passager de marque. Est-ce le duc de Saint-Simon, ami fidèle de Louis XIII ? Richelieu, le plus proche conseiller ? Nenni. Ceux qui suivent habituellement le roi à la chasse ou font partie de son entourage ne sont pas de l’aventure. Ce périple-ci est secret, ignoré de tous. Il s’agit d’un voyage initiatique où les lieux comptent pour beaucoup.
Au bout de la route, Louis XIII aperçoit les frondaisons marquant la limite septentrionale de son véritable royaume. Il pose une main à la portière, hume l’atmosphère, redécouvre les effluves de la bruyère, la fragrance des jeunes cèpes. Il sait déjà qu’une brise légère étourdira le gibier et dispersera l’odeur de l’homme. Voilà qui est prometteur.
Versailles, la création de Louis XIII, a été édifié par Philibert Le Roy sous la forme d’un modeste château dont l’économie de style et de confort sied à l’humeur du Juste. Il n’y a rien d’excessif, de superfétatoire dans ce qui prend la suite de l’ancien relais de chasse, cette piccola casa che fa fabricare a Versaglia per ricreazione 2 déjà conçue pour accueillir de viriles retrouvailles. Ce qui a été reconstruit à partir de 1631 se veut avant tout un havre d’amitié, un refuge accueillant les fidèles et les intimes, ignorant les lourdeurs qu’impose la Cour. Là, le roi se sent bien. Heureux. C’est si vrai qu’il a agrandi ce
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