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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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railler.
    — Que dis-tu ?
    — La vérité. On vous vole, monsieur Pontgallet, et depuis fort longtemps. En voici la preuve.
    Le récit s’arrêta au seuil du chantier. Mais ce qui précédait, jusqu’à l’acompte des trois livres sommeillant sur la table, fut narré et enluminé à l’avantage du rapporteur. Relever le nom des malandrins ne suffisait pas, il fallait savoir jusqu’où ils étaient prêts à se hasarder pour dépouiller le bâtisseur. Son rançonnage, prétendait-il, n’avait pas pour dessein de voler le maçon. Corrompre était la seule façon de faire éclater la vérité, de curer la lie, de fouiller jusqu’à extirper l’oisiveté, nichée au cœur d’une entreprise pâtissant de ces pratiques ruineuses. Le vice gangrenait l’édifice, le mettait en danger. Menaçait ses profits. Voilà ce qui devait se démontrer. Et l’était.
    La tête de Pontgallet dodelinait dans le reflet des flammes.
    — Les misérables, répétait-il à chaque nouveau détail. Ainsi, ils me volent et sont prêts à payer pour me chaparder encore plus ! Même Duchêne, un vieux à qui j’aurais donné le bon Dieu sans confession.
    Delaforge recouvrait ses esprits. Les tremblements qui ne le lâchaient plus depuis l’étranglement de Paillard s’estompaient, et il se dit bientôt qu’il avait faim.
    — Allons, viens. Approche-toi du feu…
    Le remue-ménage finit par réveiller la maisonnée. On fit un beau résumé. Anne et sa mère jetèrent une poignée de racines et du gras de cochon dans la marmite qui ne quittait pas l’âtre. Sur la table, trônaient les deniers de Judas. Dans un coin, Jean suivait la scène, cherchant ce qui était faux et s’accusant dans le même temps d’être injuste. Delaforge avait du courage et il le mettait au service de son clan. Pour autant, entre fureur et rancœur, intérêt et remerciement, il hésitait. Ennemi ou allié ?
    — Tu as été imprudent, dit tendrement l’épouse.
    Toussaint se fendit d’un sourire ravageur que l’éclat de la chandelle rendit mystérieux. Dieu, songea sa fille, que la bouche de cet homme est séduisante.
    — Pourquoi es-tu rentré si tard ? s’enquit enfin le mari.
    — Je me sentais en danger. J’étais menacé, je craignais d’être suivi. Imaginez s’ils m’avaient vu entrer ici.
    On le félicita pour cette nouvelle preuve d’adresse. Seul le fils se retint d’émettre un avis. Le héros était beau, trop dévoué. Mais ce n’était pas un soir à déclencher une bagarre. À coup sûr, il l’aurait perdue. Son père, en revanche, était un bloc de certitudes. Il fallait frapper durement, mater les corrompus, briser les meneurs, chasser, châtier. Le récit de son apprenti lui donnait des idées. Il allait nommer un homme sur chaque chantier, responsable des cadences. Il se tourna vers le seul en qui il avait confiance : — Toi, que pourrais-tu faire ?
    Il devenait impossible d’envoyer Delaforge espionner. Il était connu. Désormais, on se méfierait.
    — Avec mon infirmité, dit-il en levant sa manche, je n’ai plus grand-chose à offrir, si ce n’est dans le négoce où j’espère vous avoir convaincu de mes qualités.
    — Ton bras, répondit aussitôt Pontgallet, j’en fais mon affaire.
    Il croqua de bon cœur dans un morceau de jarret :
    — Et pour ce qui est de commercer, j’ai mon idée.
    1 - Délateur, dans l’Antiquité.

Chapitre 26
    P ARFOIS, LE BRAS MANQUANT de Delaforge se réveille. Il imagine que sa main existe toujours. Il lui arrive de gratter le vide, d’être démangé comme si un moustique avait sucé son sang. Ce jour d’avril 1663, en rentrant d’un Versailles en chantier infesté de bestioles affamées, il ressent cette impression gênante et, dans le carrosse qui le ramène à Paris où il rencontrera son associé Le Vau, il ne peut retenir le geste qu’il juge humiliant : remonter nerveusement la manche de sa veste et frictionner le morceau de bois, substitut de son membre. La main, le poignet, l’avant-bras, il ne les montre, n’en parle jamais. Tout se cache sous un gant de cuir et une chemise qu’il n’ôte que pour la comtesse de Saint-Bastien, femme volage et maîtresse douée d’un homme de plus en plus en vue. Angélique est seule à connaître ses détails secrets. L’appendice d’ébène, une essence rare venant de contrées mystérieuses et sauvages, la trouble plus que de raison. Elle aime sa froideur, écho mortifère du corps vif et ardent de son amant.

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