Un jour, je serai Roi
Caresser la forme oblongue à la dureté troublante la rend folle. En libertine, elle jouit de ces prémices immorales, avant de se glisser nue dans le lit pour réclamer le sexe vivant de son galant et l’accueillir sans retenue. Selon le sens donné à la nuit et au jour, il est tard ou tôt quand l’un et l’autre se lassent du plaisir. Si l’aube paresse, ils allumeront trois chandelles de plus, boiront du vin doucereux de Porto, se gorgeront des premiers fruits de saison. Angélique voudra qu’ils se recouchent et, chose faite, le suppliera d’expliquer l’origine de son infortune. Bien sûr, il restera muet. Elle sait simplement que la pièce de bois brun aux reflets clairs vient de Macassar, une ville ancienne d’Asie, et qu’un ébéniste a fabriqué pour lui seul ce chef-d’œuvre 1 .
Pour Angélique, c’est un conte comme ceux que rapportent pirates et corsaires, les aventuriers du nouveau monde. L’étrangeté lui remue le sang, attendrit son cœur, la rend toute chose . Sa main court sur les sillons ambrés de ce fragment de bois arraché aux forêts impénétrables du bout du monde, emporté dans la cale d’un navire affrontant les tempêtes des océans jusqu’à parvenir à un ébéniste et ciseleur de Paris, détenteur des secrets de son art. À la pâle lueur de la bougie, tout semble vrai et humain dans ce bras faux. C’est un travail d’orfèvre, celui d’un de ces artisans qui, depuis les temps anciens, sait que l’art accompli – la perfection – réside dans la reproduction idéale des merveilles divines. L’ouvrage fut dessiné, taillé au ciseau, observé à la loupe, poli, lustré, poncé des heures jusqu’à représenter à s’y méprendre l’apparence de la vérité. La nervure des veines, le grain de la peau, tout y est. Même les ongles restituent l’irréparable. La pièce s’attache au coude par un système de lanières dont le cuir a été attendri dans un bain d’huile rare et de rose d’Arabie. Puis l’attirail complexe remonte jusqu’à l’épaule.
Angélique adore déshabiller son adoré, lui ôter ces amarres, comme elle s’amuse à le dire. Détachés, le bras et sa doublure sont sans vie, inutiles, mais les deux réunis, ils s’accordent à la manière du guerrier et du glaive et, en songeant à ces derniers mots, Angélique soupire et se languit déjà. Elle désire les deux, elle les veut maintenant, et la comtesse de Saint-Bastien n’est pas de celles à se plaindre de la raideur du manchot.
Delaforge reçut ce cadeau trois mois après son arrivée chez son bienfaiteur. La commande fut passée fin septembre 1658, dans les jours qui suivirent l’affaire du rançonnage. Tel que l’avait imaginé son instigateur, Fernand Duchêne s’était rendu chez Pontgallet dès le lendemain pour dénoncer à son tour les méthodes scandaleuses de l’infirme qui avait tenté de corrompre ses hommes. Il parlait au nom de tous, mais en rustre, gêné aux entournures par la veste usée qui le serrait au ventre. Il fallait un avocat, un plaideur, et lui n’en employait ni les tournures ni les arguments. Pontgallet écouta la défense en silence, et ce fait inhabituel aurait dû alerter son auteur. À la fin, quand Duchêne dodelinant se tut, le maçon dit sur un ton glacial :
— En avez-vous terminé ?
— Dame, oui. Un beau salopiaud, quoi…
— Et comment vous appelleriez-vous ? tonna le bâtisseur. Un homme méprisable ?
L’ouvrier perdit pied aussitôt. Il lui revint qu’il était contre cet entretien, qu’il s’y était résolu sous la pression des gros gueulards qui le traitaient de lâche, mais, dans la panique, ne savait plus pourquoi il soutenait que rendre visite à Pontgallet était plus balourd que de glisser un peu de sous dans la main collante de l’estropié.
— Non seulement, vous reconnaissez que vous me volez en ne travaillant pas comme il se doit…
— Mais… tenta de s’interposer le maladroit.
— Ce n’est pas vrai ?
Silence.
— Et ça ?
Pontgallet mettait les trois livres sous le nez de Duchêne qui n’y comprenait plus rien.
— Il en est heureusement de plus honnête que vous, s’emporta le maçon. Ce garçon que vous accusez est aussitôt venu me rapporter ce que vous lui aviez donné pour qu’il se taise ! Et si vous l’avez payé, c’est que vous vous saviez coupable !
Oui, se dit le susvisé. C’est ça qu’il craignait. En cédant, il avait reconnu ses torts. Parbleu ! Pourquoi avait-il
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