Un jour, je serai Roi
sincérité quand il s’agenouille et se confie à son directeur de conscience, Hardouin de Péréfixe de Beaumont, l’archevêque de Paris. Il est cependant un sujet qu’il oublie lors de ses conversations intimes et personnelles avec ce fils d’un ancien maître d’hôtel du cardinal Mazarin : Versailles. La question le touche de trop près et appartient à son jardin secret. C’est ainsi, depuis ce rendez-vous de chasse avec son père où, pour une fois, ils furent seuls. La solitude, voilà la seule et la vraie question dont Louis aimerait parler avec celui qui, en principe, se penche sur sa conscience. Mais être roi, c’est vivre au singulier, au milieu d’un ou deux milliers de serviteurs, isolé et porté par des millions de sujets qu’il faut en retour protéger. Roi veut autant dire être libre d’agir que prisonnier – de la Cour, de l’étiquette, des pairs du royaume, des seigneurs, encerclé depuis la naissance par l’envie, la lâcheté, la trahison, la flatterie. Roi, c’est se forcer à rester lointain et se vouloir proche. Pour cela, il faut taire ses propres craintes, exhiber sa personne et surtout la cacher, paraître en ne montrant jamais ses sentiments, taire ses désirs ou ses peurs quand il suffit d’ordonner pour obtenir l’inaccessible. Depuis la mort de Mazarin, en 1661, Louis règne en maître. Il l’a voulu ainsi, s’interdisant en retour toute faiblesse. Oui, il est seul, désormais. Et ses décisions, ses actes, feront ou pas de lui un grand roi. Aurait-il un doute qu’il n’en parlerait. Versailles en fait partie. Non le lieu qu’il chérit, mais ce qu’il veut y produire. Versailles, le Palais de toutes ses promesses : est-ce ainsi qu’il deviendra puissant et indestructible ? Dieu, se retient-il de murmurer à son directeur de conscience, le sujet est si immense. Si inhumain… Même, et surtout, pour un roi.
Du Versailles de son père, il connaît les recoins. Il pourrait le dessiner, yeux fermés, sans oublier les deux ailes prolongées par un pavillon d’angle. Il a arpenté une à une les allées dessinées par Jacques de Menours, Jacques Boyceau, Hilaire Masson, Claude Mollet, les jardiniers de son père. Il connaît le nom du cheval – Néron –, attelé à la pompe tirant l’eau de l’étang de Clagny qui alimente les jardins. Il est venu tant de fois, incognito , accompagné peut-être d’un garde ou deux, s’échappant de Saint-Germain ou du Louvre. Il aime aller, sans le regard d’un autre, dans les pièces qu’occupa son père. Ému comme aucun ne le verra jamais, il entre dans les appartements de Louis XIII, caresse les quatre meubles que Christine de France, duchesse de Savoie, offrit au roi juste, tous de velours à fond d’argent, bleu, gris-de-lin, vert, nacré de rouge, brillant au feu d’une simple chandelle car les volets restent fermés. Sa main caresse les cheminées de plâtre, son pied fait craquer les lattes du plancher de sapin.
Mais que faire de Versailles, l’héritage dont lui seul connaît le poids et l’importance ? Depuis 1661, la question l’assaille au quotidien. Il a décidé de passer à l’action, sans vraiment annoncer son dessein. À la naissance du Dauphin, voilà peu 1 , il a débuté les travaux, fixant le siège de ce qui fera ou pas sa grandeur et celle de sa descendance. C’est un combat contre le temps et les éléments. Domestiquer l’indocile, est-ce possible ? Pourtant, Louis a décidé de partir de presque rien, de saisir le flambeau que lui a tendu son père pour marquer son empreinte et bâtir son histoire. À Versailles, dans ce damier de champs et de marais incertains où perche un manoir provincial, il a planté les lis royaux. Ce sera sa trace, son territoire, choisi comme la clairière par le cerf de son enfance. Le combat sera rude, mais, à vaincre sans peine, on ne gagne aucune gloire.
Sans le savoir, son épouse, Marie-Thérèse, et sa maîtresse, Louise de La Vallière, ont joué aussi un rôle dans sa décision. L’adoration sensuelle et presque animale qu’éprouve la favorite pour Versailles, ses forêts, ses terres rudes et sauvages ressemble formidablement à ce qu’il ressent : il veut s’approprier l’endroit. Le dompter. Et l’opinion si critique de la reine renforce son avis. Il faut tout entreprendre ? Tant mieux ! Ce royaume vierge reste à conquérir. Ce sera l’œuvre – la preuve – d’un grand roi.
Autour de lui, les talents se pressent. Le trio Le Vau, Le
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