Un jour, je serai Roi

de sa rencontre avec Paillard.

    En sortant, Calmés avait à peine salué Pontgallet. Son esprit était ailleurs, balayé d’émotions contraires. Si Delaforge ne mentait pas, tout s’éclairait sous un nouveau jour et, malgré ses croyances, il en venait à comprendre, presque pardonner, la haine de son protégé. Un tableau ignoble se dessinait, et dedans, se montraient deux êtres détestables, impardonnables, inexcusables. Marolles et le marquis. Du coup, la foi dans le pardon à laquelle il s’accrochait corps et âme lui semblait inconcevable, et ce nouvel état anéantissait ses plus intimes convictions. En passant sur le Pont-Neuf, il s’adressa au Ciel. « Dieu, par pitié, pria-t-il, venez au secours de Votre serviteur. Montrez-lui que Votre grâce est toujours concevable. » Mais en arrivant au collège de Montcler, son trouble ne céda en rien. Qui, de La Place ou de son confesseur, était le plus coupable ? Les deux à égalité, se dit-il, sans jeter un regard sur les élèves qui se rendaient en rang au réfectoire. Qu’arrivait-il à Passe-Muraille ? Voilà qu’il montait sans un mot dans sa chambre. Tous virent que le jésuite sans âge pouvait lui aussi avoir les traits tirés, la fatigue au visage et le dos voûté.
    On ne l’aperçut qu’au soir, l’allure plus sombre encore que l’habituelle. Il refusa de répondre à Baltius s’inquiétant de son état. Il mangea peu, fit une rapide apparition au dortoir des pensionnaires, puis alla se coucher et dormit du sommeil des justes.
    On l’entendit se lever tôt le lendemain. Sans dire où il allait, il sortit de Montcler et traversa à nouveau la Seine pour se rendre en l’hôtel du marquis de La Place. Quand il s’y présenta, il dut frapper et sonner afin de se faire reconnaître. Le serviteur distant qui vint ouvrir s’étonna d’une visite si matinale, mais cette soutane usée désirait voir le révérend Joseph de Marolles sans tarder.
    — Revenez dans une heure, s’entendit répondre le trouble-fête.
    — J’attends, rétorqua celui-ci. Annoncez-moi : Calmés.
    La soutane était peut-être fatiguée, mais l’air qui la portait sacrément décidé.
    — Mais…
    — Allez, je vous dis, et je prends le pari qu’il sera ici avant que vous veniez m’avertir.
    Calmés aurait gagné. Marolles cavalait, le cheveu en bataille, la pupille rétrécie, la mine verte.
    — J’ai des nouvelles.
    Le confesseur de la rue de la Couture-Sainte-Catherine cligna des yeux : — Je vous demande pardon ?
    — Toussaint Delaforge.
    Le ton était plus que froid. Marolles sentit le danger. Il passa une main sur son front pour soumettre une mèche.
    — C’est que…
    — Je n’en ai que pour peu de temps.
    — Eh bien, voyons-nous après le dîner.
    — Hier, le sujet occupait toutes vos pensées.
    — Entrez ! finit par céder Marolles.
    L’invitation se limitait au vestibule.
    — Notre entretien mérite un peu plus d’intimité.
    — Ah bien, est-ce grave à ce point ?
    — Paillard, la sorcière que vous avez payée, a tout avoué à Toussaint. Le serviteur qui m’a ouvert écoute derrière cette porte. Voulez-vous qu’il entre dans la confidence ?
    Le confesseur de La Place ouvrit la bouche, la ferma.
    — Suivez-moi, finit-il par barboter.
    Marolles marchait à petits pas, s’accrochait au mur, à la rampe de l’escalier. Ils entrèrent dans son repaire. Il s’assit sur le lit comme une masse, mains croisées sur les genoux. Sa tête, penchée en avant, balayait l’air. Rien de cela n’émut Calmés : — Vous devez avouer et réparer vos fautes. Tout comme votre marquis !
    Les yeux hagards, Marolles cherchait comment s’en sortir. Soudain, il se leva et saisit une étole posée sur le prie-Dieu placé à côté de son bureau. Il la tendit à Calmés : — Portez-la, supplia-t-il d’une voix tremblante. Il le faut pour m’entendre en confession.
    1 - Située dans le quartier Saint-Gervais (IV e arrondissement), la rue de la Croix-Blanche est, aujourd’hui, la rue du Roi-de-Sicile. La rue des Juifs fut renommée rue Ferdinand-Duval, après l’affaire Dreyfus.

Chapitre 28
    « T OUT CE QUE nous apprendrons en confession ne pourra jamais être su d’un autre. » Au nom de quoi, un prêtre espère la plus totale sincérité de celui qu’il entend. Mais un roi, fils aîné de l’Église, oint du Seigneur et Messie, ne rend-il pas des comptes uniquement à Dieu ? Pour autant, Louis s’emploie à l’humilité et à la