Un jour, je serai Roi
peut ou non rejoindre votre équipe.
— Après tant d’éloges, vous risquez de le perdre…
— Je le sais, soupira Pontgallet. Soyez certain que je le regrette et que je vous envie.
Le maître-bâtisseur exagérait-il ? Au premier coup d’œil, Le Vau avait apprécié le jeune homme dont le maçon vantait sans cesse les qualités de négociateur. Mais ce n’était pas assez. Pour arrêter son opinion, l’architecte avait pour coutume de présenter ses réalisations à ceux qui l’intéressaient. La visite s’organisait tambour battant. D’une rive à l’autre de la Seine, son œuvre était passée en revue. Ici et là, il posait ses questions, demandait un avis, exigeait qu’on le critique – ce qui était difficile et souvent dangereux. Débutée au matin, la revue se déroulait jusqu’à midi. Ainsi, les esprits se relâchaient. À un moment ou à un autre, le masque tombait. Il était donc impossible de cacher son jeu à l’architecte et, en se séparant avant le dîner, les dés étaient jetés, la décision prise. Il n’y revenait plus.
À propos de Toussaint, Le Vau arrêta son jugement le 12 juin 1659 bien avant midi. Il fallait qu’il se rende à l’hôtel Bullion pour y deviser quelques travaux de réfection. S’il remportait le marché, il y aurait à faire pour le maître Pontgallet. L’occasion était trouvée de… tester son génie. Ils se rendirent donc tous deux rue du Coq-Héron, non loin de l’ancienne demeure de feu Richelieu et de la belle place des Victoires où Le Vau avait dessiné et construit plusieurs hôtels. Ils furent reçus avec égard, firent le tour des bâtiments, l’architecte ne manquant pas l’occasion de vanter son travail en s’attardant sur la grande galerie et les détails des boiseries du cabinet du premier étage.
— J’avais seize ans, dit-il. Ma main était moins ferme.
Sa fausse modestie servait souvent à déclencher les protestations des flatteurs. Mais ce coup-ci, il n’en fut rien. Le novice resta muet. Le Vau en fut agacé. Ce garçon était-il capable d’émettre un avis ? Alors qu’ils repartaient, Delaforge souhaita cependant faire un nouveau tour des extérieurs, en passant par l’entrée principale, située rue Plâtrière.
— J’imagine que le surintendant des Finances a apprécié votre plan, se décida enfin Toussaint.
— Évidemment ! bougonna Le Vau.
— L’idée des deux entrées, l’une rue du Coq-Héron, l’autre, rue Plâtrière, est-elle de vous ?
— Absolument !
— Voilà qui me semble parfaitement bien conçu.
— Et pourquoi ? s’intéressa davantage l’architecte.
— Est-ce Bullion, le surintendant des Finances, qui a imaginé le louis d’or, cette nouvelle monnaie ?
— En effet, glissa Le Vau, surpris qu’un apprenti n’ignore pas cette création.
— Un homme qui manie tant de trésors a besoin justement de deux portes. L’une pour que l’or entre, l’autre pour que la même matière en sorte, et plus discrètement. Aussi, je vous félicite, monsieur.
Le Vau se souvint alors que le surintendant avait insisté pour qu’on aménage deux passages. Ses affaires réclamaient la discrétion.
— Continuons, glissa-t-il simplement entre ses dents. Je veux vous montrer autre chose…
En fait, il allait vérifier sur-le-champ si ce manchot avait vraiment de l’esprit.
Ils traversèrent la Seine et se rendirent sur l’île Saint-Louis. Le Vau aimait revenir sur les lieux enchanteurs où il avait connu le bonheur auprès de son épouse Jeanne Laisné, disparue depuis peu. Il se laissa aller à quelques confidences, racontant que l’endroit abritait l’esprit et les erreurs de la jeunesse, l’insouciance et le risque. À près de cinquante ans – il était né en 1612 –, il regardait cette création, simple et charmante, et y trouvait, à l’en croire, plus de joie que dans la contemplation du joyau de Vaux-le-Vicomte. Il prit ainsi le temps d’expliquer combien il était fier de sa galerie d’Hercule, située dans l’hôtel Lambert.
— C’est étrange, finit par lâcher celui qui ne pipait mot jusque-là.
— Que voulez-vous dire ?
— Il me semble…
— Allons, parlez sans crainte.
Delaforge se tourna vers l’extrémité ouest de l’île :
— Il y a peu, je me suis rendu à l’autre bout de l’île Saint-Louis.
Où voulait-il en venir ?
— J’ai vu sur le fronton d’une maison appelée le Centaure un médaillon représentant Nessus.
— En effet…
— Si
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