Un jour, je serai Roi
réviser leurs tarifs à la baisse. Après avoir obtenu mieux auprès de ceux qui sacrifiaient leur marge afin de séduire, rien n’interdirait de revenir aux relations anciennes. Ce coup de semonce ne sacrifiait pas le passé, mais rendrait plus dociles les entrepreneurs qui profitaient depuis des lustres des largesses et de la mansuétude de la maison Pontgallet – et le maçon avait jugé excellente cette observation car il y avait du bon à s’entendre dire qu’on était généreux. Cette mise en concurrence, il la soutenait. Personne ne devait s’endormir sur ses lauriers. Mais il aurait applaudi toutes les initiatives du flagorneur, ce qui enrageait son fils. Et qu’en était-il de la cohorte des lésés qui avaient vu fondre les achats ? Sans doute se montraient-ils encore plus furieux. Ainsi, en conclut Jean, pour assaillir de critiques l’inventeur d’une formule qui leur avait fait perdre énormément, on ne pouvait s’adresser à de meilleurs accusateurs. Il décida donc de se rapprocher de ceux qui vomiraient l’homme et ses façons. Et tout le mal qu’ils proféreraient serait rapporté à son père. Son plan devint limpide. À lui de mener une enquête à charge, dans le seul dessein de nuire.
Un matin de janvier, il alla rendre visite à Étienne Vallon, un marbrier chez qui son père avait autrefois ses habitudes et qui ne travaillait plus depuis que Delaforge en avait choisi un nouveau, au prétexte que l’ancien vendait plus cher. La venue du fils réjouit Vallon, convaincu de son retour en grâce. Mais le visiteur le découragea aussitôt.
— Selon Delaforge, débuta Jean, vos tarifs sont excessifs.
— Ce diable a voulu me saigner aux quatre veines.
— Cent livres la charrette chargée et livrée sur le chantier, c’est le prix que nous payons désormais.
— Bougre, j’ai proposé pareil, s’insurgea le marbrier. Dix de moins qu’avant. C’était un sacré effort…
Jean Pontgallet sentit les poils de ses bras se dresser.
— Il faut croire que non. Sinon pourquoi changer ?
— Cent livres, je le jure, mais…
Il hésitait.
—… Il est des choses que vous semblez ignorer.
— Confiez-vous. Vous ne pouvez qu’y gagner.
Pour la première fois depuis que Delaforge infectait sa vie, Jean se sentait sûr de lui, décidé. Il agissait comme son père l’aurait fait. Il redevenait son fils.
— Bientôt, c’est moi qui dirigerai tout et je me tournerai sûrement vers vous, si vous me donnez des arguments.
— Pour avoir son marché, lâcha brutalement Vallon, ce n’était pas cent livres qu’il fallait donner comme prix, mais quatre-vingt-dix… Et avec le système d’un filou, vous auriez continué à payer cent.
— Pourquoi ? demanda Jean, preuve que son esprit péchait par trop de candeur ou qu’il restait limité.
— Bah ! dame ! vous ne voyez pas ?
Vallon glissa la main dans sa poche.
— Ni vu ni connu. Pas vu pas pris.
Jean réfléchissait encore.
— Dix livres de côté pour votre maudit Delaforge. Dix livres pour chaque livraison. C’est ainsi qu’il rançonne les entrepreneurs ayant accepté son trafic.
— Combien sont-ils ? murmura le fils Pontgallet qui comprenait enfin.
— Tous ceux qui vous servent aujourd’hui.
Voilà qui expliquait ces têtes, ces noms récents.
— Il fallait vous révolter !
Le marbrier haussa les épaules.
— Vous êtes un beau naïf. Je n’ai aucune preuve. Delaforge parle à demi-mot. Il jurera que j’ai inventé, qu’il s’agit de médisance, de rancœur, que je suis mauvais perdant et j’y gagnerai la certitude de ne plus jamais travailler pour votre entreprise. Non, je n’ai pas plié. Mais si je le fais comme les autres, il promet de revenir vers moi.
— Je vais aller trouver les fournisseurs qu’il escroque et…
— Aucun des profiteurs ne vous avouera la combine. Il y a trop à perdre. Et moi-même, je ne gagne rien à vous parler. On n’aime pas les dénonciateurs. Croyez-moi, le mieux est d’attendre que votre Delaforge se trahisse. Ensuite, tout redeviendra comme…
— Nous verrons !
Déjà il tournait les talons.
— Une seconde, s’emporta le marbrier. Moi, je n’ai rien dit. J’ai déjà assez d’ennuis.
— Vous êtes un lâche, monsieur Vallon.
— J’en ai autant à votre service, se vexa-t-il. En agissant sous le coup de la colère, vous ferez fuir les rats. Non, non, soyez prudent. Il faut en discuter avec votre père. Lui, il saura quoi faire.
On le prenait donc
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