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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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pour un incapable ! Mais il allait sur-le-champ faire avouer sa trahison à Delaforge. Dès lors, il dénoncerait ce fourbe à son père, exigerait son départ. Ainsi, et grâce à lui, tout redeviendrait comme avant.

    Ce bonhomme aux jambes courtes marchait vigoureusement vers la rue de la Mortellerie, mais ses pas restaient petits, même en forçant la cadence. Fluet, réduit, la carrure étriquée, il tendait le cou, piquait la tête en avant à la manière du coq. L’allure était saccadée et nerveuse, presque comique pour ceux qui cédaient le passage à ce fou poursuivi par le diable. Quand le souffle lui manquait, il donnait des coups de rein pour accroître son courage. Quand ses pensées devenaient trop brouillonnes, trop confuses, il passait la main sur son front enfiévré et la remontait vers des cheveux en désordre. La tignasse était grasse. Le teint blême, presque maladif, complétait la description du petit être malingre, débordé par ses émotions. Les poumons en feu, il poussa la porte de sa maison, appela sans prudence, sortit pareillement pour se rendre dans l’atelier. Ah ! Son bonheur était complet. Delaforge s’y trouvait. Seul. Personne ne viendrait s’opposer, lui mettre des bâtons dans les roues, le tirer par la manche en exigeant qu’il se calme. Jean réglait ses comptes. Définitivement.
    — Bougre de salaud ! Je sais tout. Tes combines, tes vols ! Nul besoin d’avouer. Vallon a parlé. Ce soir, mon père te chassera, hurla-t-il.
    — Il n’est pas rentré ? demanda calmement l’ancien lutteur.
    — On n’est que tous les deux. Tu vas y passer, le manchot…
    Sans prendre le temps de calmer sa respiration, Jean fit un bond en avant, mains tendues, ne masquant aucunement ses intentions. Il allait empoigner l’adversaire. Une manœuvre si limpide, qu’en face on s’effaça simplement de côté, dans un mouvement plein de souplesse et si rapide que Jean accrocha le vide et baissa la tête, offrant sa nuque au bras d’ébène, une masse terrible qui s’abattit dessus. Les os craquèrent. Le fils s’effondra. Roide sur le coup. Du sang et un peu de matière cervicale s’écoulaient déjà de la plaie. Delaforge ne fut ni ému ni inquiet, pas même surpris de la facilité avec laquelle il avait réglé son compte au crétin. Dans les arènes de Lutèce, il avait produit dix, cent fois ce geste. Le lutteur sommeillait, ne demandait qu’à surgir, et au premier appel, il était revenu. Vivo ad extremum. Ce tatouage, gravé autrefois sur sa peau, surgissait du néant. Si tu cesses de vivre, c’est par ta faute. Voici les mots qu’il prononçait à l’oreille de ses victimes. Rien n’avait changé. Comme hier, il ne cédait pas à la panique et fut même réconforté en pensant à sa vengeance. S’il devait se battre contre un des fils du marquis de La Place, il gagnerait aussi.
    Alors, seulement, Delaforge se tourna vers le mort.
    — Depuis le temps que tu me cherchais, murmura-t-il.
    L’oraison funèbre s’acheva. On l’avait attaqué, il ne fallait pas. Il vérifia dans la cour que personne n’était rentré puis revint dans l’atelier, décidé à maquiller le meurtre en accident. Déjà, il s’emparait du corps, le tirait d’un bras dans l’escalier qui conduisait au mi-étage de l’atelier, une sorte de balcon sans rambarde sur lequel s’entassait le fatras poussiéreux du maçon, tout ce qu’il repoussait au lendemain, tout ce qu’il laisserait, disait-il en plaisantant, à son héritier afin qu’il le range le jour de l’éternité. On comptait vingt marches assez étroites et la progression se fit difficilement. En haut, Delaforge prit son temps pour apaiser le rythme décousu de sa respiration. Calme, calme… Ne rien oublier. Anne et sa mère se trouvaient dehors, Pontgallet sur un chantier. Il traîna le corps jusqu’au bord du balcon de façon à se trouver au-dessus de la table en bois, exactement à l’aplomb des arêtes vives du plan de travail. Il dénicha dans le fatras poussiéreux les plans d’une maison que venait d’achever le maçon, les roula, les glissa dans la main droite de Jean et serra de toutes ses forces pour que les doigts un peu engourdis du mort s’y accrochent. La scène se précisait, le stratagème se mettait en place : faire croire que Jean était monté chercher des papiers – d’ailleurs, il les tenait – et s’apprêtait à redescendre, mais qu’en se retournant son pied avait rencontré le vide. Dès

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