Un jour, je serai Roi
et le prit à sa mère, Marie, sept ans plus tôt, le jour de la naissance du futur Louis XIV.
Sitôt après avoir arraché le nourrisson des griffes de Paillard, la vieille à deux dents , le révérend père Joseph de Marolles s’était enfoncé dans la rue de la Tonnellerie, jouant des coudes, serrant le nouveau-né dans les bras pour fendre la foule qui rejoignait le Louvre afin de saluer la naissance du Dauphin ou se précipitait place de Grève où les échevins, ces magistrats de Paris, avaient convié tout ce monde à un grand feu de joie et autres illuminations et pétarades. Était-il possible de retrouver cette soutane dans la cohue ? La sorcière qui avait mis fin à la vie de Marie en l’étouffant dans le drap où était né son fils n’y croyait pas. C’était une manière de soulager sa conscience. Pas assez pour ne pas la condamner aux flammes de Satan, car si elle avait pris son courage à deux mains, si elle avait bondi dans la rue, si elle s’était accrochée aux pas de Marolles, elle aurait vu qu’il n’avait pas eu beaucoup à marcher pour se rendre dans l’hôtel du marquis de La Place où il s’était présenté à la porte arrière. Se faisant reconnaître par un valet, il avait alors traversé la cour intérieure, dos courbé, cachant l’enfant sous le manteau, puis il s’était glissé jusqu’aux écuries au-dessus desquelles se trouvait un logement confortable – le sien même, rue de la Couture-Sainte-Catherine, non loin de l’hôtel Carnavalet, propriété de la veuve Françoise de Kernevenoy 4 .
Toussaint n’avait pas bronché durant ce périple et tout laissait croire que son évanouissement durable annonçait sa mort. Ne l’était-il pas ? Une nourrice attendait l’enfant dans l’appartement de Joseph de Marolles. Elle l’avait examiné, ne pouvant retenir un cri lorsqu’elle avait découvert son visage tuméfié et fendu d’une profonde cicatrice.
— Vit-il ? Répondez-moi.
Marolles interrogeait vivement la nourrice. Celle-ci se pencha pour écouter le petit cœur et crut l’entendre battre.
— Alors, il faut le réveiller ! Qu’il ouvre la bouche ! Qu’il boive votre lait ! Faites votre métier !
Ces cris suffirent-ils ? Le nouveau-né grimaça, gémit. Déjà la nourrice ouvrait sa chemise, mais hésitait encore. Marolles ne la quittait pas des yeux.
— Mon père…
Le prêtre comprit enfin et détourna son regard.
— Que faut-il pour le sauver ? s’inquiéta-t-il, épaules tournées.
— De l’eau chaude, des serviettes, de l’huile grasse pour masser son corps. Et nombre de prières…
Marolles sortit soudainement, dévala l’escalier quatre à quatre et courut aux cuisines de l’hôtel du marquis de La Place. Il était chez lui, ordonnant à la brave Berthe de faire chauffer l’eau et de lui donner du linge propre.
— L’enfant est là ? demanda timidement la cuisinière.
— Oui, répondit sobrement Marolles.
— Et sa mère ?
— Morte en couches, lança-t-il en baissant la tête. Mais je tiendrai la promesse que j’ai faite à cette jeune femme. Je veillerai sur son enfant.
Berthe se pencha et embrassa la main de Marolles.
— Que Dieu bénisse votre générosité, Marie était si…
Le prêtre se dégagea brusquement :
— Cela suffit ! Donnez-moi l’eau et la serviette.
Il sortait déjà de la cuisine :
— Cet enfant restera auprès de moi le plus longtemps possible.
— Marie aurait été si heureuse, pleurnichait Berthe.
Marolles se raidit et fixa rudement cette femme généreuse :
— Si vous voulez qu’il s’en sorte, ne parlez jamais de sa mère. Elle est morte. Paix à son âme. Il ne doit rien savoir de ses origines, sinon, je ne pourrai le garder chez le marquis de La Place. Est-ce compris, Berthe ?
— Oui, murmura-t-elle.
— Jurez-vous devant Dieu dont je suis le témoin ?
— Oui, fit la cuisinière. Mais, osa-t-elle, quel est son prénom ?
— Toussaint. Celui qu’avait choisi sa mère.
— Et quel nom portera-t-il ?
Marolles sortit sans répondre.
Pour l’heure, Toussaint vivait. Une semaine s’était écoulée, et la nourrice produisait des miracles, ne relâchant jamais son attention, se reposant auprès de l’enfant, lui donnant le sein sans compter. Marolles s’était retiré dans l’autre aile de l’appartement, dormant dans la pièce qui lui servait de bureau. C’est ici qu’il s’isolait quand il éprouvait le besoin de réfléchir. L’endroit était sombre, éclairé
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