Un jour, je serai Roi
pas gémi. Cependant, méfions-nous, Monsieur le Dauphin. Sortez votre épée pour venir si besoin au secours de votre roi.
Louis Dieudonné obtempère aussitôt et ce geste suffit pour qu’il recouvre sa bonne humeur.
— Encore qu’il me semble que ce ne sera pas nécessaire…
— Pourquoi ?
— Nous avons triomphé.
— C’est sûr ? insiste le petit en jetant un regard inquiet vers le bois où s’est enfui le cerf.
— Je vous fais cette promesse. L’animal ne s’approchera jamais plus d’ici.
— Moi, je crois qu’il faut le tuer…
— La victoire n’a pas toujours besoin de sang.
Le petit pense que la seule façon de triompher d’une mouche, c’est de l’écraser. Il s’y emploie depuis peu… Sans trop y parvenir…
— Pour toujours, cette clairière est à nous, insiste Louis XIII.
— Pourquoi ne reviendra-t-il jamais ?
— En n’ayant pas eu peur, il nous a crus plus forts que lui.
— Oui, je n’ai pas eu peur… répète Louis Dieudonné.
— Maintenant, rentrons.
Louis Dieudonné se colle à son héros, redresse la tête pour se grandir, et il va ainsi, ne cessant de parler de ses exploits, comparant son épée aux bois de la bête furieuse, se souvenant qu’elle ronflait tel un dragon, que ses yeux étaient rouges, et le roi écoute, encourage les rêves de son fils. Ils vont à pas lents vers le sentier qui les reconduit au carrosse. Que devrait-on encore lui dire pour que la leçon soit complète ? Qu’il ne faut jamais renoncer ? S’entêter ? Non. Simplement être roi. Ils arrivent au chemin. Encore quelques instants de liberté et ce sera fini. Louis XIII pose la main sur l’épaule de son fils :
— Cette clairière n’est qu’une part infime d’un domaine que j’ai aimé plus que tous les châteaux de notre royaume. Et bientôt, vous y serez seul chez vous, murmure-t-il.
— Est-ce plus grand que ce vous m’avez montré ? continue le Dauphin sans comprendre la portée des derniers mots de son père.
— Assez pour un roi. Peut-être trop pour un homme…
Il se penche pour chuchoter la suite :
— J’y ai construit une demeure qui abrite mes secrets.
— C’est loin d’ici ?
— Une heure de marche.
— C’est beaucoup ?
— On nous attend au Louvre. Une autre fois.
— Je voudrais voir votre cachette, supplie-t-il.
— Vous reviendrez, car la clairière, comme le reste, sera à vous.
— Comment ferai-je pour retrouver le chemin ?
— Vous le connaissez déjà. Nous l’avons pris ce matin.
Et pour la première et la dernière fois, le roi tutoie son fils :
— Montre-moi que tu as appris, dis-moi où nous devons aller.
Sans hésiter, le Dauphin s’engage dans l’étroit passage :
— Je vais raconter comment nous avons chassé le cerf !
— Un roi ne parle jamais de ses prouesses. Ce ne sera qu’un beau souvenir entre vous et moi.
*
Le 14 mai 1643, soit huit mois plus tard, Louis XIII mourut à Fontainebleau. Peu avant, il demanda à voir son fils :
— Avez-vous parlé de notre secret ? Le cerf dans la clairière…
— Jamais, mon père…
Les larmes venaient. Louis XIII fronça gentiment les yeux :
— Vous y apprîtes ce que signifie être fort. Avez-vous oublié ? Affichez toujours cette vertu car, en étant grand, vous soumettrez le plus féroce de vos ennemis, et vous deviendrez indestructible.
1 - Louis XIII s’éteint le 14 mai 1643, trente-trois ans, jour pour jour, après la disparition de son père, Henri IV.
2 - Petite maison construite à Versailles pour le divertissement… Jugement d’un ambassadeur vénitien que signale Louis Batiffol (brillant historien, décédé en 1946) et que reprend à son tour Pierre Verlet ( Le Château de Versailles , Fayard, 1985).
3 - Environ 120 hectares.
4 - Septime Sévère fut empereur de Rome de 193 à 211 après J.-C.
5 - Petit poignard que les chevaliers portaient de l’autre côté de l’épée et qui leur servait à tuer leur adversaire après l’avoir renversé, s’il ne criait pas miséricorde. C’est aussi une arme utilisée à la chasse pour achever la proie.
6 - Jean-Armand du Peyrer, comte de Tréville, est capitaine lieutenant de la compagnie des mousquetaires chargée de la protection du roi lors de ses déplacements. Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan ne sont pas loin… L’histoire de ce personnage est romanesque. Très proche de Louis XIII, il fut cependant relevé de ses fonctions par Richelieu qui ne lui pardonnait pas d’avoir été
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