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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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risque d’être comprise…
    Faisait-il allusion aux soubrettes qu’il troussait ? Craignait-il qu’on l’accusât d’héberger un bâtard ? Tant de choses à vrai dire vraisemblables.
    — Entendez-vous le… conserver ici longtemps ? insista-t-il.
    — Sa santé est encore fragile. Et la charité, même provisoire, n’est pas interdite à un bon chrétien.
    Bon. Le marquis se contenta de cette réponse. En œuvrant à sa façon aux bons soins de ce poupon, n’empruntait-il pas la voie qui le rapprochait de Dieu ? Et effaçait un peu ses turpitudes. Une question demeurait. Pas une fois, le marquis n’avait montré un quelconque intérêt pour la mère de cet enfant. Aucune curiosité, aucune compassion. Pas une interrogation sur les origines du petit Toussaint. Mais pouvait-il en être autrement d’un être fort dédaigneux des autres ? La fille mère inconnue et l’enfant ne comptaient pas plus que les gens qui le servaient fidèlement, silhouettes lointaines et floues auxquelles il ne prêtait attention qu’à l’instant où elles lui étaient utiles et qu’il houspillait, maltraitait, renvoyait et séduisait parfois avant de les confier à l’oubli.

    Ce jour-là, Marolles avait gagné du temps. Et l’enfant continuait de vivre. Il devait donc lui trouver un patronyme sans rapport avec sa mère et, pour étouffer la rumeur qui préoccupait le marquis de La Place, un nom auquel il pourrait accrocher une fable crédible. Plus il cherchait, plus le sale souvenir qui le hantait revenait. Il voyait le dernier regard de Marie, sentait l’odeur de la vieille maquerelle. Il se repassait dans la tête chaque détail de cette cave semblable à l’idée qu’il se faisait de l’enfer et, chaque fois, le visage de l’enfant, tuméfié, marqué à jamais d’une plaie surgissait. Il devait mourir mais il s’accrochait. De quelle énergie était-il fait ? Joseph de Marolles songeait à Héphaïstos, le seul dieu laid de l’Olympe. Héphaïstos, le dieu du feu, des forges, des entrailles de la terre. Là où était né Toussaint. Ce fut comme une évidence. Il l’appellerait La Forge. Non. Delaforge. Un sobriquet dont le jésuite serait seul à connaître le sens et qui le relierait au passé sans que jamais personne ne sache pourquoi. Delaforge l’aiderait à inventer son histoire. Toussaint Delaforge, le garçon sans famille né d’un père angevin, forgeron et mort ainsi que la mère. Un orphelin que le bon père Marolles avait recueilli. Un misérable sauvé de l’enfer par son parrain.

    Toussaint jette un regard en coin au préfet de discipline qui se tient à l’entrée du collège de Montcler. Il est peu habitué à voir du monde. Depuis sa naissance, il n’a guère lâché la soutane noire du jésuite. C’est un garçon craintif, effrayé de tout. Il redoute le bruit, la rue, la foule. Il a vécu cloîtré, tantôt chez sa nourrice dans le village de Neuilly-sur-Seine, tantôt dans le petit appartement situé à l’arrière de l’hôtel de Philippe de Voigny, à trois cents pas de là où il naquit ; où sa mère mourut. De tout cela, il ne sait rien. C’est un enfant recueilli par Joseph de Marolles. Entré le 5 septembre 1638 dans la cour pavée de l’hôtel, il n’en est sorti que pour rejoindre, lors de séjours plus ou moins longs, la petite maison de sa nourrice qui a accueilli l’enfant quand il devenait indésirable à l’hôtel de La Place. Au cours de la première année, il ne fit guère parler de lui. Mais bientôt, son caractère se montra. Violent, coléreux, au point d’effrayer les deux fils du marquis, François et Antoine, auxquels s’ajoute Aurore, une fille douce qui est, semble-t-il, la seule humaine à pouvoir approcher et calmer le jeune Toussaint.
    Un jour, cependant, le marquis en eut assez et bien que le prêtre ait la lourde tâche d’arbitrer et (de tenter) de sauver son âme, il lui fit comprendre que ce bâtard ne pouvait rester chez lui. Au cours d’une confession plus longue que d’ordinaire, sanctionnée sur la fin par une lourde pénitence (quatre semaines d’abstinence, applicable au vin et au sexe), le prêtre entama un sermon inhabituel sur le sens de l’effort et du don. Une âme noble se devait de partager, et c’était le prix pour rejoindre le Tout-Puissant lors du Jugement dernier. Un arrangement fut trouvé. Le détestable Toussaint passerait les mois d’été et d’automne chez sa nourrice, car la campagne avait du bon en ces

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