Un jour, je serai Roi
hommes, la connaître aussi parfaitement que celle des arbres qui les entourent. Régner, c’est repérer sa proie, ne jamais relâcher son attention, sentir l’air, deviner qu’il y flotte la fronde, couper la main de celui qui tend la coupe plus mortelle qu’un champignon aux couleurs attirantes, se taire, regarder, attendre que l’animal se montre. Et n’agir qu’ensuite.
— Comprenez-vous ? demande à voix basse Louis XIII.
Louis Dieudonné hoche la tête pour plaire à son père et ne pas le lasser. Pour qu’il joue encore avec lui.
— Maintenant, voilà votre récompense. Tournez lentement la tête de ce côté-ci et voyez-vous votre gibier ?
Le petit s’exécute. Dieu ! Que l’animal est grand…
— Oui, Sire !
L’enfant a crié.
Au loin, la biche relève la tête, tend les oreilles. Elle a entendu le danger. D’un bond gracieux, elle fuit dans les sous-bois. Louis Dieudonné tombe en larmes parce que ses bottes sont lourdes, parce qu’il ne comprend pas pourquoi l’animal n’est pas resté afin de lui plaire. Son père s’agenouille, essuie ses joues et, pour la première fois, se montre dans cette humble position.
— Nous avons perdu, dit-il d’une voix douce. Il vous faut aussi apprendre la vertu de l’échec.
L’enfant boude. Ces mots sont trop compliqués.
— Nous reviendrons ici pour chasser, lance ce père infatigable. Je vous le promets.
Le croit-il vraiment ? L’élève applaudit, la biche est oubliée.
— Recommencer inlassablement, travailler sans relâche… Tel sera votre métier, murmure le roi à lui-même.
L’enfant est trop petit, s’assombrit-il, doutant de sa méthode. Six ans, comme ce jour où il chassa avec son propre père, Henri IV. Sept ans, si cela était possible… Voilà ce qu’il faudrait pour que le prochain roi entende son testament.
— Allons ! Votre mère, la reine, vous attend au Louvre.
Le retour est maussade. Louis XIII souffre, le Dauphin n’en peut plus. Mais alors qu’ils atteignent le sentier les ramenant au carrosse, un cerf, un mâle immense, un dix-cors, surgit et leur barre le passage. La saison des amours débutera bientôt, le brame, dit-on encore, et la bête est en transe, brutale, se montre intraitable. On viole son territoire. La biche qu’ils ont surprise faisait-elle partie du sérail ? Les flancs de l’animal se gonflent de colère, son pied racle la terre, il grogne, râle. Bientôt, il chargera, bois en avant, plus aiguisés que la lame du spadassin. Louis Dieudonné tremble de peur. Sans lâcher le cerf du regard, son père le prend par la main et, doucement, le place derrière lui. Maintenant, le Juste affronte seul le danger.
— Ne criez pas. Ne bougez pas, glisse-t-il calmement.
Et ces paroles, ni violentes ni brutales, agissent plus sûrement que la plus formidable des forces.
Le regard du monarque ne faiblit pas. Son corps, à l’instant sans vigueur, fait rempart. Il fixe le cerf. Il ne reculera pas, il ne fuira pas et se refuse à appeler la garde campant à l’autre bout du chemin et qui, malgré l’éloignement, pourrait peut-être l’entendre.
L’affrontement se prolonge peu, mais dure une éternité. Le cerf jauge l’ennemi. Il le flaire, le menace en reculant, en avançant. Le roi pourrait, devrait se saisir de sa miséricorde, mais il préfère toiser le danger. Il ne le craint pas. La force, tentait-il d’expliquer à ce fils ? Elle niche dans le silence, la patience, la ruse. Peu à peu, le doute, puis la peur change de camp. On résiste, est-ce parce que l’on est plus puissant ? Le mâle hésite, devient la proie d’un chasseur dont l’assurance s’avère la meilleure des armes.
Soudain, le cerf tourne la tête. À cet instant, il vient de perdre le face-à-face. Il jette une dernière fois ces bois en avant, puis choisit la fuite en forçant un passage entre les ronces. Il disparaît.
Alors seulement, Louis XIII se saisit de son arme.
— Allez-vous bien ?
Le ton n’a pas varié. Aussi calme que celui dont le roi use à la Cour.
— Oui, Sire, bredouille le petit.
— Eh bien ! Quel combat ! fait-il mine de se réjouir. Au moins, nous avons appris une chose importante…
Louis Dieudonné tremble sur ses jambes.
— Nous sommes de vrais chasseurs, reprend le monarque. Pas un instant, nous n’avons douté de notre force, et l’animal l’a compris…
— Oui, Sire, répond l’enfant d’une voix peu convaincue.
— Vous n’avez pas bronché, pas pleuré,
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