Un jour, je serai Roi
nomme baroque (bâtard, estime La Place), alliant le génie de l’Italie aux lourdeurs d’un genre qui se cherche et se voudrait français. À ce mélange ébouriffant, aussi désordonné que les travaux engagés à Versailles et dont on ne comprend pas vraiment la ligne générale, le marquis préfère la sobriété du Louvre, le vieux Paris où le luxe et les secrets de famille se cachent derrière de hauts murs comme ceux qui entourent son repaire du Marais. Les Plaisirs de l’Isle enchantée l’ennuient fichtrement. Trop de monde, d’excitation, se répète-t-il. Trop de parvenus, aussi.
La noblesse de robe se mêle à celle d’épée ; celle qui a fait ce royaume-ci en offrant son sang. Qui se souvient qu’un marquis est d’abord un soldat chargé de veiller sur les frontières ? Être noble se mérite. Et que voit-il ? Des commis, élevés vers le sommet pour la raison qu’ils sont riches. Voici Le Vau, l’architecte, parlant fort et se vantant d’obtenir bientôt le titre de secrétaire du roi. Qui est cet homme, de quelle extraction surgit-il ? Par quel moyen a-t-il fait fortune ? Ce soir, il faudra encore endurer le banquet, quand le marquis de La Place voudrait sauter dans son carrosse, s’en retourner à Paris. Mais peut-on déplaire au roi trop longtemps ? L’an passé, il ne s’est pas rendu à son invitation d’automne, prétextant une attaque de goutte. Une excuse frisant l’irrespect quand on le découvre, l’œil vif, saluant la duchesse de Créqui assortie à la princesse de Bade. Et le battement des paupières que déclenche son sourire en dit long sur le charme de la maturité. Le marquis en remontrerait à nombre de jeunes pédants désœuvrés. Sa réputation fait le reste.
Mignonne, dit-il aux femmes qu’il séduit, allons voir si la rose… et son teint au vôtre pareil… Il aime la poésie de Ronsard et, sans se complaire dans la paillardise, souscrit aux préceptes de Rabelais, ami, comme lui, de la Touraine. Jouir de la vie ! La prendre à bras-le-corps, aimer ce qui est frais, bien formé, alléchant, naturel ! Rien de mieux que les beautés pastorales de l’Anjou et de la Touraine. Il regrette du reste de ne pas y être alors que la sève éclôt, que bourgeonne le printemps, de perdre son temps dans les circonvolutions de ces jardins. La Place est obtus – c’est un de ses défauts. Il critique trop les choix de Sa Majesté, et cela pourrait lui coûter cher. Il suffirait qu’il se montre aimable, qu’il se joigne par exemple au groupe où brille la marquise de Montespan. Parmi les gracieuses qui la suivent, il repère une jolie Cassandre 2 – tendre chair dont il raffole. Mais le marquis s’ennuie. Ces fêtes pompeuses manquent selon lui de sincérité. Il juge ridicule que les princes du royaume se déguisent en chevalier, a détesté la course de bague où le roi se fit applaudir par les flatteurs et trouve déplacé que le duc de La Vallière ait reçu de la reine mère une épée d’or sertie de diamants brillants à laquelle furent ajoutées des boucles de baudrier. Car en passant par le vieux bourg, il a aperçu les misérables, silencieux, amassés au bord de la route, venus admirer le défilé des hôtes de Sa Majesté accostant sur son île enchantée.
Ces gueux ont travaillé nuit et jour, sans repos, pour le plaisir d’une nuit 3 . Le résultat – à contrecœur, le marquis finit par en convenir – est fantastique. Une fois passé côté jardin, on oublie le château de Louis XIII. On est subjugué par les décors qui se suivent, s’enchaînent le long des allées. Bosquets, chapiteaux, scènes de théâtre, théâtres de verdure, trompe-l’œil, fresques monumentales, banquets, flambeaux plantés dans le sol jusqu’à l’infini… Mais tout sera détruit, sans respect pour le travail de centaines d’hommes désireux de bien faire.
Le jouisseur serait-il doté de sensibilité ? Les besogneux, juge-t-il, ont seuls inventé ce miracle qui a transformé des terres infertiles en jardins merveilleux. Ce sont eux qu’il faut admirer, et non l’aréopage d’invités qui caquettent et piétinent les broderies des parterres de buis et de fleurs. Est-ce le discours d’un frondeur ? Nenni. Le marquis ne défend pas la cause des indigents. Il critique l’outrance des présents arborant ces titres de savonnettes à vilain , distribués à tour de bras 4 .
Attention ! Tant d’amertume finira par se savoir. Le roi s’est agacé auprès d’un
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