Un jour, je serai Roi
regrette pas. Cela se passera bien. L’offre de Toussaint fut brutale, admet-il, mais tout aussi inespérée. C’est pourquoi, il n’a pas hésité, voyant dans sa réaction la preuve d’une détermination qui lui fait défaut par ailleurs. Son caractère se réveille, s’affirme enfin ! Il fuit, oui, mais n’y voit aucune lâcheté et si cette idée surgit quand le carrosse bringuebale ses pensées, il échappe aux doutes en concluant qu’il n’existait pas d’autres choix. Cent mille livres de dettes d’un côté, et autant au retour de son périple. De quoi effacer le passé, repartir à zéro en ne cédant jamais plus au jeu. Vu sous cet angle, son voyage a belle allure. C’est une sorte d’acte de foi, de contrat sur le futur, de rédemption. Il part tel le fils prodigue et reviendra, purifié de ses fautes. Bien sûr, la mutation ne se peut sans épreuve. Mais, pour obtenir le pardon, il les surmontera car la roue tourne. Après tant d’infortune, la balance revient à l’équilibre.
Et que lui demandait-on pour qu’il en soit ainsi ? Toussaint s’était montré rassurant, bon conseiller, parlant sans détour du commerce d’antiques, preuve de la sincérité de leurs relations. Il s’agissait d’une aventure formidable qui le tentait aussi. Un séjour en Italie ? Ah ! Le sauveur de Voigny aurait aimé en être si Le Vau ne le suppliait pas chaque jour de rester à ses côtés. Il y était prêt, décidé à écouter la voix qui lui soufflait de s’accorder un peu de plaisir, mais voilà, il fallait laisser sa place pour secourir l’ami dans le besoin. « Allons, Antoine, ne tardez pas à répondre. Ou plutôt refusez, et je prends moi-même le départ. » Cent mille livres et deux mois de liberté – huit semaines – pour se vider la tête, purger cette humeur qui tordait les entrailles du ruiné et lui laissait le sale goût de la culpabilité dans la bouche. Afin de se décider, il ne manquait qu’un rien d’explication, une présentation générale destinée à mesurer de quoi il retournait ; or, il suffisait simplement , assurait son allié, de veiller à l’authenticité de statues, de têtes et de bustes provenant de Vérone et de Pompéi. Les difficultés passagères d’Antoine tombaient en quelque sorte à pic puisque l’opération réclamait un expert. Celui qui s’imaginait ainsi avait redressé le torse.
Quoi d’autre ? Secundo , contrôler le chargement et l’arrimage des pièces à bord d’un navire rapide qui le conduirait dans une crique déserte, non loin de Gènes. Tertio , certifier le paiement sans se préoccuper des détails. Il faudrait verser les dix mille livres que lui confierait Toussaint à un receleur italien. Le reste, dix mille à nouveau, la part du transporteur, serait payé à la livraison à Paris, selon des conventions établies au préalable. Ainsi, ce n’était pas la première fois ? s’intéressa Antoine. Non, répondit l’aigrefin, prouvant ainsi que la mécanique était rodée. Si bien qu’une fois rentré, l’endetté dirait adieu pour toujours aux contrariétés. Au plus tard, il serait de retour en juillet, débarrassé de la peur insoutenable d’être failli, répudié par son père, peut-être embastillé pour banqueroute.
Delaforge trouvait les paroles justes pour étouffer les scrupules, calmer la peur. Ces statues n’appartenaient à personne, pas même au passé de l’Italie puisque Rome était un bien universel. La rapine venait de temples en ruine, désertés, abandonnés depuis des siècles à l’usure du temps, oubliés par l’histoire. Vue sous cet angle, l’entreprise avait donc des allures de sauvetage, d’autant que l’érosion et la pluie menaçaient ces chefs-d’œuvre, abandonnés à des paysans incultes utilisant les vestiges d’anciennes acropoles pour bâtir leurs masures ou soutenir les murs des vignes plantées en espalier. Ainsi, dans ce monde rustre et en plein désordre disparaissaient peu à peu les reliques sur lesquelles César et Auguste avaient posé les yeux. On les ressuscitait en agissant de la sorte et cette démarche méritoire ne pouvait laisser insensible un passionné d’arts anciens.
Antoine entendait ce qui apaisait sa conscience aux abois, retenant que les risques étaient infimes, une fois en mer. Et quel danger courrait-il à terre ? Arrivé du côté de Gènes, il débarquerait pour remonter, en compagnie d’un guide de toute confiance, jusqu’au village de Monte San
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