Un jour, je serai Roi
proche de son absence aux fêtes de l’année passée. Aussi, cette fois, le voici obligé d’en être, arborant son épée d’apparat, trophée qu’il confiera au soir de sa vie à son aîné, officier bienheureux d’échapper au pensum puisqu’il manœuvre avec le vicomte de Turenne. François ! Sa fierté… Celui qui aurait pu le représenter à Versailles. Son cadet ? Il soupire. Ce fils emprunté ne lui apporte que des déconvenues. Voilà peu, Antoine annonçait qu’il partait pour l’Italie. Se déciderait-il à visiter le monde pour devenir enfin homme ? Nouvelle déception. Son projet toucherait à l’art, un entichement grotesque remontant à l’enfance.
Le marquis y voit la triste illustration d’un caractère fragile dont la cause remonte à la mort soudaine de sa mère, emportée par de vilaines humeurs, malgré d’innombrables saignées. Quel âge avait ce gamin ? Six ans, trois de moins que son aîné, plus solide. Il s’était réfugié dans les jupes de Berthe, la cuisinière, et partageait les jeux niais de sa sœur, Aurore. Impossible de lui donner le goût de la chasse, l’envie des tripailles, de ces choses qui fabriquent l’instinct grégaire du mâle. Son père avait songé à le faire entrer dans les ordres. Il s’en était ouvert à Joseph de Marolles, son précieux confesseur, qui ne le vit pas plus en soldat de Dieu. Le sacerdoce exigeait une main de fer et ce fils manquait cruellement de conviction. Il se montrait instable, sujet aux influences, velléitaire, ne possédait aucun don, pas même celui de sculpteur, contrairement à ce qu’il rabâchait. Imaginait-on un La Place bâtissant une vie avec de telles billevesées ? Il restait les terres dont il aurait pu se charger. Il y eut une expérience en décembre, non que le père fût convaincu de ses capacités, mais c’était un moyen d’éloigner le jeune homme de ses nouvelles fréquentations, mystérieuses puisqu’il n’en parlait jamais.
La mutation remontait à la fête d’automne qui s’était déroulée dans ces mêmes jardins où, cette nuit, son marquis de père rumine. Ah Dieu ! quel changement à son retour ! Il avait découvert le monde, le décrivait avec l’émotion d’une jouvencelle. Le Vau lui ayant parlé, il lui semblait découvrir la vérité ! Son père s’était emporté. Invité par Le Vau. Chez le roi ! Mesurait-il ce qu’il y avait de déshonorant dans le fait d’être convié par un affairiste menant grand train ? Sans cette inutile colère, Antoine aurait parlé de Toussaint Delaforge. Mais il s’était tu, moins montré rue de la Couture-Sainte-Catherine, rentrant à l’aube, dépensant trop – sans qu’on puisse imaginer la déchéance financière dans laquelle il sombrait. Il avait maigri, sa mine était devenue affreuse. La vie saine à la campagne lui ferait du bien, espérait son père. Alors, Antoine était parti fin novembre… et revenu en janvier. Il s’ennuyait, détestait la saison, ses scènes bucoliques. Qu’y avait-il de si envoûtant à Paris ?
Le marquis n’a pas cherché plus loin et, ce soir, il se sent même presque soulagé par le départ de son fils en Italie qui – Dieu du Ciel ! – irait étudier in situ les vestiges de Rome, preuve d’une nature impulsive, immature. L’errance n’en finit plus, soupire La Place. À quoi bon lutter contre l’évidence ? Antoine n’est pas François et, pour amoindrir ce malheur, il se répète que l’aîné seul héritera de son titre. Avec lui, le marquisat sera entre de bonnes mains.
Antoine est en effet en Italie. La manœuvre de Delaforge avance ; tout se présente selon ses prévisions, n’eussent été ces incidents agaçants qui l’ont obligé à improviser. Ainsi, la rencontre avec Ravort aurait pu tourner mal. Il a dû mener une transaction dont il se félicite finalement alors que débutent les Plaisirs de l’Isle enchantée auxquels il ne participe pas. Qu’importe si Le Vau n’a pu renouveler l’exploit de le faire inviter : Ravort est désormais son relais à Versailles, agissant comme au temps où cette gueule de travers négociait pour le clan de La Bastille. Il achètera tout ce qui se présentera. Granges, maisons, caves insalubres, il faut loger les manœuvres dont les rangs ne cessent de grossir. Ravort touche sa part, et bien mieux que s’il trahissait son pourvoyeur. Que lui rapporterait une énième infidélité ? Traîne la patte a réfléchi. Ne sont-ils pas les plus vieux
Weitere Kostenlose Bücher