Un jour, je serai Roi
Antoine finit par poser la question. Le capitaine craint les galères françaises. Mais avant qu’on lui demande pour quelle raison, il ajoute : « Qu’ils viennent, ils seront reçus. » Et en le disant, il soulève une des bâches qui recouvrent le pont. Un, puis deux… au total La Cardinala aligne dix canons. Faudra-t-il se battre ? Le passager ne le saura pas. Le Sarde a déjà tourné les talons pour donner ses ordres : augmenter la toile afin de profiter de la brise. La vitesse est l’alliée des pirates. Antoine vient de penser à ce mot – pirate –, et entrevoit son odyssée sous un angle différent. Il n’avait pas pensé aux galères. L’une d’elles peut les aborder, réclamer des explications. Fouiller aussi. À l’aller, rien n’est grave. Mais au retour ?
Au loin, se dessine une voile blanche. Spoza, l’œil à tout, annonce qu’il s’agit d’une frégate française. Il repose sa longue-vue et crache par-dessus le bastingage. Son navire a pris trop d’avance pour être rattrapé avant la nuit. « Il faut espérer que les nuages masqueront la lune », grogne-t-il en sondant un ciel limpide.
Au matin, calme plat. Le navire n’avance plus. Ou si peu. Ainsi, pendant cinq jours et cinq nuits, une peur sourde, lancinante ne lâche pas le jeune Français. Il peine à manger puisqu’il déteste le poisson séché, ne boit pas assez d’eau, finit par se plaindre de violents maux de tête. Spoza parle d’une sorte d’insolation, bougonne qu’il l’a mis en garde contre l’air salé qui brûle le gosier et ce pont sans ombre. Il finit par lui ordonner de descendre dans sa cabine, une cambuse empestant le vin, inondée de chaleur, équipée d’un hamac dans lequel Antoine s’allonge pour vomir sa bile. Patience, tente-t-il de s’apaiser, le véritable voyage dont parlait Toussaint ne débute qu’en Toscane.
Au matin du sixième jour, il est tiré brutalement de la torpeur à laquelle il a fini par céder. Sur le pont, ça cavale dans tous les sens. Un moment, le passager pense qu’ils ont été arraisonnés par une galère quand Spoza montre sa barbe de vieux loup de mer et, pour la première fois, sourit. Le port de Boccadasse est en vue. Antoine doit préparer ses effets. Sitôt seul, il caresse la doublure de son sac. Les dix mille livres que réclamera le voleur de statues y sont. La crique où ils font halte se trouve à l’écart du village. Si on pose des questions, on dira qu’il y a un cas de peste à bord. Une chaloupe est mise à la mer, direction le port. Les marins à la rame resteront sur le bateau tandis que Spoza et Voigny débarqueront. Ils ont rendez-vous à l’ Ostello di Pescatori avec Angelo Bardali.
Spoza le connaît. C’est sa troisième expédition. Bardali est là. Il fait le pied de grue depuis deux jours et grommelle qu’il ne faudra pas se plaindre si sa présence fait jaser. Du coup, les gendarmi sont passés. Si on pose des questions, l’affaire sera présentée ainsi : Antoine de Voigny visite la Toscane ; il a besoin d’un guide. Le Sarde écoute d’une oreille discrète, ce n’est plus son problème. Il ne songe qu’à retourner sur La Cardinala qui appareille pour la Corse. « Je serai de retour dans trois semaines. J’attendrai deux jours devant le port de Boccadasse. Pas un de plus. » Pour la centième fois depuis le départ, Antoine songe à renoncer. Il hésite. Mais, il est trop tard. Spoza tourne les talons. Avanti !
Bardali est debout, un baluchon sur l’épaule. Il connaît trois mots de français ce qui est toujours mieux qu’Antoine qui peut tout juste dire ciao , addio . C’est court pour tenir une conversation pendant des jours et des jours, les mains accrochées à l’encolure d’un mulet. Pourtant, malgré les courbatures, les repas frugaux, la marche forcée sur des chemins fréquentés uniquement par la lune, il éprouve plein d’allégresse. Pour la première fois de sa vie, il lui semble communier avec la nature. Dieu ! Voir la Toscane et mourir … Hélas, ils ont voyagé de nuit la plupart du temps et, pour l’observation, il faudra revenir. Il sourit en pensant à ce qu’il racontera au retour à Toussaint. Fichtre ! Il moquera cet ami optimiste qui lui a brossé un tableau trop parfait. Mais enfin, à la guerre comme à la guerre. Et, au bout du chemin, cent mille livres l’attendent.
Au neuvième jour, alors que le soleil monte au zénith, il pénètre dans Monte San Quirico. Les deux hommes ont
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