Un jour, je serai Roi
rendez-vous devant la chiesa , l’église qui domine ce petit bourg niché en montagne. D’en haut, le spectacle est féerique. Il voit la Toscane. Enfin ! Là-bas, très loin, au fond des vallées, ce ne sont que champs tapissés d’or et pâtures verdoyantes. Un tableau divin lui inspirant l’idée de s’intéresser à la peinture, car il déborde de projets. Sa vie va changer. Ainsi, il se promet de visiter pour de bon ce pays quand tout sera fini, les dettes effacées, puisque c’est décidé : il choisira le camp de la probité. Ce n’est qu’un des progrès qu’il constate chez lui. La peur et le danger ont un effet bénéfique. Il sent que l’apprentissage lui est profitable. Son père a raison, les voyages forment la jeunesse.
Devant l’église, traînent des gosses qui détaillent l’étranger sans méfiance. Bardali s’adresse au plus grand. Antoine comprend qu’il demande où se trouve le signore Bernardini . Par chance, il s’agit de son fils Pietro qui court chercher le Padre . La suite est rassurante. Bernardini se montre affable et volubile. Quarante ans, peut-être, bâti en force, taillé dans la roche de son pays, il parle avec les mains, à haute voix, sans craindre d’être entendu. Il est vrai que ses deux autres fils l’entourent, exhibant à la ceinture de longs couteaux. Venire, venire , répète-t-il pour qu’on le suive. Les statues sont entreposées dans une grange. Il veut que Monsignore Antonio di Voigny les inspecte tout de suite. L’expert s’exécute volontiers, s’arrêtant sur une statue de Jupiter qui lui semble un peu neuve, mais, ma foi, comment juger à coup sûr ? Elle vient d’Italie. À Paris, qui contestera l’origine ? La friponnerie et l’exploit de les convoyer auréoleront ces morceaux de pierre d’un mystérieux vernis. Leur valeur vient de là. Et ce n’est pas celui qui les achètera qui pourra oser se plaindre. Antoine trouve qu’il commence à penser juste, à la façon de Toussaint. Oui, le voyage a du bon. Sans conteste, il mûrit. Bernardini tend la main : coretto ? Oui, c’est correct. Le pouce se frotte à l’index. Pagare . Payer ? Antoine réclame un couteau et déchire la doublure de son sac. Les dix mille livres sont là. Bernardini s’avance et propose une accolade. Coretto .
Maintenant, au travail. En s’aidant de poulies et de cordes, six hommes sombres et muets chargent les œuvres sur quatre charrettes tandis que Bernardini invite les visiteurs à se rendre dans sa maison. L’intérieur est plus cossu que la façade lézardée ne le laissait penser. Une femme en noir s’active dans une cuisine située dans le prolongement de la pièce. Il s’y trouve aussi une jeune fille qui ne lève pas les yeux lorsque les étrangers entrent. Figlia , annonce fièrement son père, Bernardini. De loin, la silhouette gracieuse de sa fille est celle d’une madone. Sa chevelure est recouverte d’un voile qui cache entièrement son visage. Il faut qu’elle se tienne de face et de près pour qu’Antoine capte son regard. C’est chose faite, au moment du repas, quand elle sert les hommes à table. Les yeux verts et immenses entrent dans ceux du petit Français, puis se baissent pudiquement. Antoine en profite pour détailler son nez fin et droit, ses lèvres sensuelles qui s’entrouvrent quand elle tend le bras pour poser un immense plat de pasta , parfumé de ciboulette. Dans ce mouvement plein de grâce, les manches de son corsage se relèvent et les attaches se montrent, délicates, et une peau nacrée, brillante. Il fait chaud. Antoine imagine son corps nu cherchant la fraîcheur dans le lit d’une rivière. Il a appris que celle du village s’appelle Serchio. Il s’y voit, se baignant avec elle, et l’émotion est si grande qu’il murmure Grazie . Un sourire se glisse entre deux fossettes attendrissantes, et les yeux de la belle battent l’air jusqu’à s’apercevoir que son père la regarde. Alors, Amalia – elle se prénomme ainsi – reprend la pose figée de la Vierge qui trône dans l’église de Monte San Quirico. Mais il reviendra, se redit ce jeune homme déjà amoureux. Il conquerra ce pays pour s’y sentir libre, aventurier, et prodigieusement lui-même.
Le retour est morne, mené toujours de nuit, sous la pluie qui ne cesse de tomber. Quatre hommes de Bernardini accompagnent les trafiquants Bardali et Antoine de Voigny. Il faut sans cesse descendre pour guider les attelages, fagoter les bâches
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