Un jour, je serai Roi
mains attachées dans le dos, à Aix-en-Provence.
1 - Il s’agit de la même, la déesse de l’Amour, respectivement dans la mythologie des Romains, des Grecs et des Étrusques…
Chapitre 39
À V ERSAILLES, CE DIMANCHE de fin juillet, Marguerite Pontgallet s’accorde un jour de repos. Depuis que les Plaisirs de l’Isle enchantée se sont achevés, elle n’a guère eu le temps de penser à elle. À peine le rideau retombé, à peine les invités dispersés, le chantier a repris. Un grand tumulte, un tonnerre de sabots quand ce monde est reparti, un silence assourdissant après le tintamarre, mais la bataille s’achevait sur une victoire. Le roi était satisfait.
Il faut avoir vécu ce moment de vide quand tout s’arrête. La machine est rouillée, les os endoloris, la cervelle embrouillée. Mais on doit continuer, poser un pied devant l’autre. Versailles n’attend pas, Versailles avance. L’installation des grandes tentes commandées par Marguerite est terminée depuis dix jours. Les Limousins y logent. En rentrant chaque soir, ils trouvent un feu sur lequel cuit la tambouille roborative de Jeanne Dubec, la paysanne qui abrite le clan Pontgallet. Les hommes viennent humer la marmite où rissolent de bons et gros morceaux de viande. Quand l’un d’eux veut goûter, elle le menace de sa longue cuillère en bois culottée par le gras d’innombrables repas et lui ordonne d’aller se décrasser. À l’instant, tous étaient épuisés, mais Anne, l’épouse du solide Léon, se montre. Elle apporte le pain cuit du soir. La croûte croque ; c’est bon de mordre la mie. Et puis, avant de s’installer à table, il y a toujours un gaillard pour parler des siens qui sont loin ou un autre qui attrape une flûte et joue un air du pays. Le samedi, la veillée s’étire. Demain, Madame Pontgallet l’a promis, c’est jour de repos. On sera bien ici, ensemble, mieux que chez les cabaretiers qui vendent une paillasse pouilleuse à prix d’or.
Léon a fait les comptes. Malgré les dépenses du départ, ils s’en sortent à peu près. Il reste prudent, bataille pour sauver chaque sol, mais le maçon Bergeron tient parole. Il paye chaque semaine les heures des manœuvres et n’a toujours pas réclamé le prix des matériaux commandés pour les fêtes. Du bois, des clous, des pics, des pioches, des marteaux… Mais ça tiendra, on le sait, on le sent chez les Limousins et, ce soir, l’humeur est à rire, à se moquer du Robert qui, voilà trois jours, a reçu une poutre sur le front et qui est tombé comme une masse de l’échafaud. Mordiou ! on le croyait mort quand ce solide a ouvert les yeux, essuyé le sang qui lui coulait dans le cou, et s’est relevé, braillant qu’il allait s’y remettre. On a dû attraper cette masse par le col et la faire asseoir. Marguerite Pontgallet est arrivée en courant, a sondé la plaie, conclu qu’il s’en remettrait à condition de lui ordonner un repos. Six jours. La paye, il la recevrait comme les autres. Les Limousins ont apprécié. Depuis, ils se démènent pour rattraper le travail de celui qui manque à l’appel. Hier, Robert, surnommé depuis Le Têtu , n’a pu s’empêcher de passer voir. Il s’ennuie. Le pansement de Marguerite lui donne l’allure d’un soldat s’en revenant de la guerre.
La comparaison est juste : Versailles est un combat contre le temps, les éléments qu’il faut domestiquer, amadouer, selon les vœux du roi. La construction de son nouveau monde vire à l’aventure, et aucun ne regrette d’en être. Oui, la veuve du maçon Pontgallet se réjouit, et les Limousins admirent cette dame, solide et belle, qui se montre courageuse et tenace. Ils la respectent, l’écoutent, obéissent, si bien que Marguerite est en train de réussir le pari que nombre jugeaient impossible.
Dans cette scène qu’on croit idéale se profile cependant une angoisse depuis qu’elle est entrée chez Ravort et a vu Delaforge. Marguerite croyait ce démon disparu et il s’est montré, chez le tavernier, les deux discutant tels des maquignons, préparant elle ne sait quelle manigance pour salir, détruire encore. Combien de temps pourra-t-elle cacher la présence du père d’Amandine à sa fille ? Allons, l’autre, le manchot, n’est pas idiot. S’il revient – et il l’a déjà fait car elle l’a revu de loin et sait qu’il cherche à acheter tout ce qui se peut à Versailles –, il croisera Anne et la petite. Et c’est ainsi que ça se
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