Un jour, je serai Roi
pour des enfants libres. En tendant l’oreille, il entendit le pas des gens descendant la rue Saint-Jacques. Deux personnes discutaient et l’une d’elles se mit à rire. La chapelle, se dit-il, était un bon endroit pour s’évader tout en respectant la règle de l’obéissance.
— Je vous montre la sacristie.
Le père Boulanger, le régent, se dirigea vers une porte située à droite de l’autel. Son élève le suivit, toujours sans prononcer un mot, mais au moment où le prêtre posait la main sur la poignée, un de ses coreligionnaires sortit de la pièce. L’homme était rond, fort, des traits qui laissaient entrevoir la bonhomie.
— Voici le père Baltius. Il dirige la chorale.
— Quel est ton nom ? demanda ce dernier à l’interne.
— Toussaint Delaforge, répondit-on.
— Serais-tu le filleul du père Marolles ?
Le régent Boulanger répondit à sa place :
— C’est lui.
— Bien, sourit Baltius en se penchant vers l’enfant. Tu seras peut-être intéressé par nos activités. Note que la chorale se réunit les lundis et mercredis pendant les heures d’étude…
Il caressa les cheveux de Toussaint :
— C’est une façon chrétienne d’échapper aux devoirs…
Et Toussaint fut convaincu que la chapelle serait l’endroit du collège de Montcler qu’il détesterait le moins.
La matinée s’achevait et le régent Boulanger faisait entendre de drôles de bruits avec son ventre. Il passa la main dessus :
— Il est temps d’aller dîner.
Dans le même instant, la cloche retentit. Une cohue joyeuse se forma près des portes du réfectoire et il fallut l’intervention du préfet de discipline pour rétablir l’ordre. Il le fit sans un mot, juste en appuyant le regard et en tapant deux ou trois fois du pied. Toussaint avait faim également. Les anciens découvraient les arrivants et afin que leur position de dominants soit comprise, ils gonflaient le torse afin de les intimider. Ils se poussaient du coude, tendaient le menton si l’un des nouveaux soutenait leur regard. Puis les portes s’ouvrirent et Toussaint sentit l’odeur écœurante de la soupe grasse. C’était si épais qu’elle s’accrochait aux bancs, et les mains, quand on les posait sur la table, gardaient jusqu’au soir la puanteur du chou. Il y eut une prière et un claquement des mains. En silence, dans un mouvement parfait, les élèves s’assirent. Toussaint ne chercha pas s’il avait l’autorisation de parler. Il n’en éprouvait pas le besoin. Son voisin tendit le bras pour attraper un morceau de pain. Son coude heurta sciemment le visage de Toussaint, cherchant à le provoquer. Il se tourna alors vers sa victime qui ne bronchait pas et vit la plaie au visage. Son teint se mit à pâlir et il plongea le nez dans son potage où nageait le fameux chou de Montcler. Autour d’eux, on observait la scène, calculant qui du grand ou du laid l’avait emporté.
— La lecture sera faite par l’élève Étienne Darçon.
Le préfet de discipline venait de désigner qui aurait l’honneur d’instruire l’assemblée en partageant de saines connaissances. L’élu se trouvait parmi les meilleurs, cette distinction s’appréciant à l’aune de ses résultats ou de sa parfaite obéissance. En somme, choisir un élève revenait à stigmatiser celui qui était, selon le gouvernement secret des internes, le plus soumis, le plus faible. Donc, la victime.
Étienne Darçon se leva et, tête baissée, se dirigea vers la table où dînait le corps enseignant. On le fit monter sur une chaise afin que chacun le voie, on lui tendit un livre épais ouvert en son milieu et sur un geste du préfet de discipline, il déglutit et commença :
— Tite-Live.
Il marqua une pause, soupira et reprit :
— Titus Livus . Ab urbe condita libri . Liber unus 1 .
Le premier livre racontait l’histoire de Romulus et Remus, et c’était la base même d’une solide instruction à laquelle se mêlait la pratique du latin car ce texte était ânonné dans la langue antique. Si bien que, dès la deuxième ligne, l’élève Darçon trébucha sur um à la place d’un us . Il releva la tête, sonda l’assistance. Reprit d’une voix plus chevrotante. Toussaint ne comprit pas d’abord pourquoi à son côté, on chuchotait un . Puis deux , à la deuxième erreur de Darçon. Puis trois , et ainsi de suite jusqu’à compter douze quand le lecteur se tut. Douze fautes, en effet. Ainsi, se calculait la punition que subirait Darçon,
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