Un jour, je serai Roi
enjoué car un bruit nouveau circule à propos du déshonneur d’Antoine de Voigny.
À Paris, fin juillet, mais rue de la Couture-Sainte-Catherine, le marquis de La Place s’est enfermé dans le cabinet de travail du premier étage dont les visiteurs envient le luxe et la richesse. Il n’y est pour personne, refuse d’ouvrir quand un valet frappe, a renoncé au dîner, fera de même pour le souper. « Antoine est mort. » Il répète ces mots, tente de les faire entrer dans son crâne. Son fils est mort ? La vérité s’obstine, et pourtant, elle demeure irréelle. Antoine de Voigny, soupçonné d’agissements criminels concernant des œuvres antiques, propriétés du grand-duché de Toscane, a été arrêté le 27 juin par le capitaine Villefaut au poste de garde de Lascours. Le suspect ne s’est opposé que brièvement avant de reconnaître la totalité des faits : son chargement arrivait illégalement d’Italie et les charretiers conduisant l’expédition n’étaient pas informés. Ce comportement de gentilhomme, son nom, sa soumission – une sorte de soudain découragement – laissaient croire qu’on pouvait lui accorder la liberté de circuler sans chaînes. Ce fut la seule erreur du capitaine Villefaut. Profitant de la crédulité de son geôlier, le prisonnier s’est appliqué une peine plus grave que celle à laquelle il n’aurait pu échapper ; il s’est pendu. On l’a trouvé ainsi, dans sa cellule, sans un mot d’explication pour apaiser le chagrin des siens. On ne saura donc rien, ni sur ses motivations ni sur ses complices. Son corps suit. On l’enterrera en Anjou, la semaine prochaine.
Malgré l’opinion détestable qu’il n’a jamais cessé de montrer, son père est profondément touché. Il ne craint pas le qu’en-dira-t-on des désœuvrés du Louvre avides d’esclandres et se moque même que son nom soit sali. Ce soir, il cherche un fils qu’il a mal connu, sans doute mal aimé et dont il critiquait la mollesse morale. Combien de fois a-t-il brocardé son manque d’ambition ? Ce mépris a fini par donner le pire. Antoine a-t-il fait cela – devenir un voleur – afin d’exister ? Pour le savoir, il eût fallu qu’il l’ait connu. Il ne reste que l’image fugace d’un être qui parlait peu par crainte d’être raillé, parce que ses actes étaient critiqués avant de se produire. Qui pourrait raconter à ce père qui fut Antoine ? Qui le rassurerait en lui jurant qu’il n’est pas responsable de sa mort pour l’avoir abandonné ?
Le marquis cherche et réalise combien il ne sait rien de son fils perdu. Trouver quelqu’un ayant été proche de lui ? Il pense à sa sœur, Aurore. Mais lui demander de parler d’Antoine, aujourd’hui, parce que son père en a besoin, serait attiser sa douleur et il craint une réaction furieuse. En apprenant la mort de son frère, elle s’est évanouie, ne revenant à elle que pour hoqueter qu’il s’était tué pour n’avoir jamais été aimé de son père, le modèle . Elle se repose à présent dans une chambre et, bien qu’il désire plus que tout s’y présenter pour lui demander de l’aider à comprendre Antoine, le marquis se l’interdit par crainte de l’entendre hurler qu’il devait s’en préoccuper avant, qu’il n’a rien vu, rien fait. Qu’il se morde les doigts, vive avec ses remords et se tourne vers François, le seul enfant dans lequel il se reconnaisse ! Aurore est capable de cette férocité-là. Elle est enflammée, libre, et l’a toujours été. Son père est habitué aux révoltes volcaniques de sa fille et, autrefois, ce caractère vif l’amusait. Désormais, les reproches seraient insupportables parce qu’ils lui sembleraient vrais. Vers qui d’autre se tourner pour expliquer la folie qui a gagné Antoine ? Tudieu ! Qui lui parlerait de son fils ? François est en Anjou. D’ailleurs, il n’en dirait que du mal. Qui d’autre, Seigneur ? Un visage finit par venir, agréable et beau, celui de la comtesse de Saint-Bastien.
La rencontre s’était donc produite à Versailles où le marquis s’ennuyait, les Plaisirs de l’Isle enchantée ne lui seyant point. Elle avait surgi de l’ombre, entre deux flambeaux aux teintes laiteuses. Son air grave, ses jolis traits ourlés d’une indicible tension lui donnaient l’allure d’une aventurière aux abois. L’idée l’avait excité. Hélas, elle avait parlé d’un fils, dont, autrefois , il se moquait éperdument, et ce qu’elle avait
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