Un jour, je serai Roi
soutane ne lui sert à rien depuis des années, quand il réalise que, selon la comtesse, c’était à peu près depuis ce temps-là, six mois, qu’Antoine fréquentait Delaforge.
— Eh bien, éclairez-moi alors sur votre filleul. Ne l’avez-vous jamais revu ?
Marolles se fige. Quel rapport ?
— Pourquoi pensez-vous à lui aujourd’hui ?
La voix est tendue, mais le marquis ne s’en rend pas compte.
— On s’entête à me faire croire que ce garçon serait coupable du malheur qui a touché Antoine, murmure-t-il.
— Que dites-vous…
Et La Place raconte d’une voix monocorde sa rencontre avec la comtesse à Versailles.
— Elle prétendait que Delaforge orchestrait la déchéance de mon fils. Même si je n’y crois guère, je m’en vais l’interroger et, cette fois, je prêterais plus d’attention à ce qu’elle m’apprendra.
Que dira-t-elle ? Et d’abord, que sait-elle ? s’inquiète aussitôt le jésuite. S’il s’agit de son filleul, tout devient danger. Dès lors, la peur le conseille. Il ne pense qu’au flacon contenant de l’eau de la Seine. Le dernier était presque vide. Un mot l’accompagnait. « La menace approche. Chronos est fatigué d’attendre. »
— C’est un monstre !
Ses mains, sa bouche tremblent, son teint est pâle, et voici Marolles qui vomit les pires insultes sur Toussaint, le traitant même d’ erreur de la nature ! L’attaque est si violente qu’elle produit le contraire de ce qui était recherché. Le marquis déteste soudainement l’accusateur, ses insanités et sa façon de s’exprimer dans la maison de son fils, mort à cause du mépris qu’on lui manifestait. Comment expliquer tant de haine chez celui qui parlait à l’instant de Dieu ?
— Que vous a-t-il donc fait ? grogne le marquis en songeant au mal dont lui-même s’accuse à l’égard d’Antoine.
— À moi ? s’enferme le révérend. Voyons… Rien.
— Que lui reprochez-vous alors ?
— D’avoir toujours voulu vous nuire…
— N’est-ce pas vous qui l’avez introduit chez moi ?
— Chaque matin, je regrette d’avoir montré tant d’indulgence…
— Si Delaforge est le mal , c’est vous, son parrain, son tuteur, qu’il faut accuser. Ne lui jetez pas la pierre en premier ; elle pourrait se retourner contre vous.
La Place a déjà tourné le dos. Marolles, pantelant, le regarde partir. Tous les démons de l’enfer s’unissent pour lui nuire ! Après Paillard, Calmés, voici une comtesse. Qui se présentera encore pour lui rappeler combien ce fut une erreur de sauver cet enfant ? Assez ! Il faut en finir à jamais avec le poison qui ronge sa vie, décide le jésuite en remontant dans la chambre austère où il a conçu ses pires manigances. Il se jette sur le prie-Dieu, supplie le Seigneur – tant de fois renié – et s’abîme dans une prière qui plairait à Satan. Dans son brouillon enragé de mots, il est question de détruire, d’étouffer Toussaint. Mais comment s’y prendre ?
À entendre le marquis, d’autres que lui voient en son filleul l’incarnation du mal . La comtesse de Saint-Bastien par exemple. Le mieux n’est-il pas de s’emparer de ce qu’elle raconte pour nuire à celui qu’il déteste, de monter l’accusation et de racheter Antoine de Voigny en mettant tout sur le dos du balafré ? Mais de qui se servir pour venger la mémoire du mort en dénonçant le vrai coupable ? Un nom vient de surgir. Il existe un homme, courageux et fort, qui ne pardonnera pas à Delaforge d’avoir nui à Antoine. Marolles saisit une plume, il va écrire à ce justicier. En lui apprenant qu’un témoin lui a fourni la preuve de la culpabilité de la crapule, sa vengeance s’appliquera à coup sûr.
Deux lettres sont écrites ce 2 juillet 1664. L’une, par Marolles ; l’autre, par Angélique de Saint-Bastien qui, n’oubliant pas les conseils de Sapho , se débat à l’entrée du gouffre de la Vengeance. Et ce matin, en ouvrant sa porte au marquis, elle y plonge hardiment.
Avant de le recevoir, Angélique a pris son temps car elle n’a pas oublié le dédain avec lequel, à Versailles, son visiteur a accueilli sa mise en garde. Ignorant la raison de sa visite, elle a choisi une robe de soie rose et verte qui met en valeur sa beauté. Son amie Sapho lui conseille de plaire, de se faire désirer, il n’y aurait rien de plus efficace pour se désempoisonner de Toussaint. Le remède s’accompagne d’une cure. Elle soigne l’amour par l’amour… en
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