Un jour, je serai Roi
– et quoi de plus normal puisqu’il s’agissait du confesseur familier de la rue de la Couture-Sainte-Catherine –, ce dernier aurait pu agir en secret, sans prévenir le père, craignant une réaction brutale. Qu’elle avorte ! aurait sûrement rétorqué le marquis, s’il avait su. Les faiseuses d’anges existaient pour cela… Mais le prêtre, soucieux de ne pas déplaire à Dieu – avorter étant un péché mortel –, avait enfreint les ordres. La suite n’était alors que maladresse, négligence et imprudence.
Vu ainsi, tout s’éclaire, en effet, même les actes les plus graves. La cave, rue de la Tonnellerie, la fin atroce de Marie, le rôle de la sorcière, la réaction de Marolles et le silence de Berthe. Le Tout-Puissant a choisi, s’était alors répété mille fois le jésuite. Marie s’éteignait ; et qu’il en soit ainsi… Lui avait récupéré l’enfant, tout en regrettant le crime contre sa mère.
Il détiendrait donc deux secrets : celui le concernant – lui, le complice, voire le co-auteur d’un meurtre – et celui du marquis – un père qui ignorerait l’existence de Toussaint. Il aurait sauvé l’enfant, mais resterait coupable d’avoir abandonné Marie. Et c’est cela qu’il ne veut pas que l’on découvre. Or, trouver qui est le père de Toussaint reviendrait à mettre à jour son rôle. Alors, sa vie s’écroulerait. Voilà pourquoi il aurait caché cet enfant à La Place.
Mais ce marquis, peut-il s’exonérer de son acte ? Il ignorerait ses liens avec Toussaint, sa faute s’en trouverait-elle amoindrie ? En fait, en son âme et conscience, il ne s’interroge pas sur ce qui l’unirait à ce garçon. Et, cette nuit, alors qu’il pleure son cadet, il pense à Delaforge comme à un orphelin qu’il a eu la gentillesse d’accueillir sept années durant et se demande si le garçon qu’il a sauvé du pire a bien agi contre Antoine en le poussant vers le déshonneur, ainsi que le prétend Angélique de Saint-Bastien. Delaforge est-il responsable de la déchéance et de la mort de son fils ? À défaut de pistes plus solides, il existe, pour répondre à ces questions, la mise en garde de la comtesse. L’homme perdu, désespéré qui l’entendit ne sait que s’y accrocher. Aussi, décide-t-il de rencontrer cette femme. Et de mieux l’écouter.
La nuit qui suit l’annonce de la mort d’Antoine, La Place se ronge et ne dort pas. Au matin, sa décision est prise. Il est prêt, habillé de noir. Le visage est gris, la démarche lasse, il ira seul dans Paris, déclare que personne ne l’accompagnera. Aura-t-il seulement la force de se rendre chez la comtesse de Saint-Bastien ? Il se peut qu’il renonce, décide de baguenauder sans dessein, uniquement parce qu’il étouffe, et tout pourrait s’arrêter sur un secret, si Marolles, informé que son hôte sort et s’en étonne, ne venait de se montrer, soumis, servile à son habitude. Le prétexte est tout trouvé : le berger de Dieu est là pour secourir l’âme en peine. Peut-il lui venir en aide ? Le marquis désire-t-il discuter ? Mais les paroles et la mine convenue du jésuite ne le touchent pas. Il est à nouveau résolu à se rendre à son entretien, ne serait-ce que pour ne plus supporter les mimiques de circonstance de son confesseur.
— Partager sa souffrance est souvent un excellent moyen de l’alléger, susurre ce dernier.
— Et partager ses doutes ? bougonne celui qui l’abrite.
— Oui, bien sûr, grimace Marolles sans comprendre qu’on le pique.
Il croise les mains, ferme les yeux :
— Douter : qui n’y céderait pas en de telles circonstances ? Ainsi, je devine que, ce matin, la question de l’éternité vous agite. La mort nous met face à Dieu. Pourquoi n’a-t-Il pas secouru Sa brebis et…
— Ce genre d’interrogation ne m’assaille pas.
— Alors quoi ? sursaute le révérend.
— Je cherche à comprendre qui était Antoine et ce qui l’a mené aux abysses…
— Ce garçon était si discret, si secret…
— Lors de vos confessions, n’avez-vous jamais décelé un signe annonçant le drame ?
— Ce qui se dit à ces moments-là reste à jamais enfoui. Je suis incapable de vous éclairer.
— Marolles, ne me provoquez pas ce matin !
— Au moins, puis-je vous assurer que rien de ce qu’il m’a confié ne jurait avec la volonté de Dieu. Mais il est vrai aussi que je ne l’avais pas entendu depuis longtemps. Six mois, peut-être…
La Place songe que cette
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