Un jour, je serai Roi
a-t-il derrière lui ? L’œil s’échappe jusqu’aux grilles et, une seconde, observe la rue. C’est ici qu’il voit Toussaint Delaforge et se fige. L’ancien de Montcler avance. Il pourrait même pousser la grille, mais Calmés ne le veut pas. C’est pourquoi il met en branle son pas saccadé et se colle à la grille. Il la garde. On ne passera pas.
— Que veux-tu ? demande-t-il d’une voix glaciale.
— Marolles m’a dit qu’il était mon père.
— Je le sais.
— Qu’y a-t-il que vous ignoriez ? tente de plaisanter Toussaint.
— Rien qui puisse absoudre tes fautes. Marolles est venu me parler voilà peu. Il m’a raconté pour le père de François et Antoine. Le tragédie s’achève. Te voilà satisfait…
— Allez-vous me dénoncer ?
— À ce jour, je ne l’ai pas fait parce que l’orgueil me soufflait que je te changerai, et je me suis cru capable de triompher du démon. Maintenant, va-t’en ou, en effet, je te dénonce.
— Vous vous trompez, mon père. Antoine est mort parce qu’il était faible. C’est lui qui a creusé sa tombe. François est venu pour me tuer et je n’ai fait que me défendre. Le marquis, c’est lui qui…
— Va-t’en, je te dis !
Calmés veut briser là. Les élèves attendent, se demandent à qui parle Passe-Muraille .
— Attendez ! Dites-moi si Marolles est mon père…
— Oui. Il te l’a dit, répond-il froidement puisqu’il ne trahit pas le secret de la confession.
— Où est-il ?
— Il se cache. Il a peur de toi, peur de lui, et surtout peur de ce qu’il a produit. Il cherche la rédemption. Et, à l’inverse de toi, ajoute-t-il pour blesser, j’ai confiance. Lui, il la trouvera.
— J’aurais pu le tuer. Je ne l’ai pas fait. Dites-le lui…
— Plus personne ne te croit. Tu as même anéanti l’espoir qu’il y avait en moi.
— Je le ferai sortir de son trou, enrage Toussaint.
— Je ne pense pas, murmure tristement Calmés. La compagnie de Jésus dispose de paisibles et lointaines retraites où l’âme cherche le salut. Joseph de Marolles a quitté le monde de haine, de fureur que tu as fabriqué.
— Ses mensonges, ses traîtrises, les oubliez-vous ?
Calmés reste silencieux.
— Au moins, savez-vous s’il aima sincèrement Marie ?
Le préfet de discipline pivote et lui montre son dos.
— Je vous hais tous ! hurle Toussaint en s’adressant aux élèves qui se serrent les uns aux autres.
Calmés est avec eux. Il les prend sous son aile, les dirige vers la chapelle. Pas une fois, il ne se tourne vers son ancien protégé. Pour lui, tout est dit.
Angélique de Saint-Bastien est seule, et ce, depuis l’été. L’automne arrive et, prédit-on, sera froid. La comtesse sonne pour qu’on nourrisse la cheminée. Quand le valet Bonnefoix sera ressorti, elle s’abîmera dans le silence. Toussaint lui a écrit. Une fois. Il lui parlait de sa trahison. Sans elle, sans ce petit rien d’inutile jalousie, rien ne serait peut-être arrivé. Toutefois pas comme cela . Et il n’en racontait pas plus. Dans un sens, il la remerciait. Sa vie s’était éclairée et, écrivait-il assez illogiquement, elle s’était un peu plus assombrie. Les mots employés n’étaient pas cruels et, à la lecture de ces deux feuillets, épluchés plus de cent fois, la belle devina qu’une sorte d’irrémédiable désespoir habitait celui qu’elle appelait désormais, et à contrecœur, son ancien amant.
Depuis, elle suit, mais de très loin, ses aventures. Elle sait que de grands malheurs se sont produits chez le marquis de La Place, que celui-ci est mort, emporté par le chagrin et, murmure-t-on, par la folie. Il se serait jeté dans son escalier. Sa fille, Aurore de Voigny, en fut témoin. Mais Angélique n’a nul besoin d’être curieuse pour savoir que Toussaint était présent. Paris cancane. Si elle ajoute à ce terrible événement la disparition inexpliquée de François de Voigny, pris dans un traquenard, à Versailles, la coupe déborde. N’est-ce pas elle qui a vu vivant pour la dernière fois ce fier soldat ? Elle se garde d’en faire état par crainte d’être emportée dans un scandale. Pour cette raison, et un peu par amour, elle ne cherchera pas à nuire à Toussaint – du moins, pas pour le moment. Mais elle s’ennuie. Cet hiver, elle ira rendre visite à Aurore de Voigny. Qui sait ce qu’elles s’apprendront ?
Quand un notaire lui parle du domaine familial, des urgences qui le concernent, de la vente d’un
Weitere Kostenlose Bücher