Un jour, je serai Roi
tente de s’en convaincre, d’autant que chaque nouveau pas les éloigne de la Seine, du passé, du mensonge. La foule le rassure, le protège d’un esclandre. Se quereller encore ? Il n’en voit pas la raison, jugeant même qu’il fut convaincant sur la fin. D’ailleurs, son filleul l’a reconnu : « J’accepte de vous croire. » En y réfléchissant, Marolles se souvient que la confiance du garçon se réduisait au seul fait que sa mère n’avait livré qu’un prénom. Il n’empêche, la dernière trouvaille – le corps jeté dans la Seine – a produit son effet. Après, sa violence s’est éteinte, comme le volcan sans lave.
A-t-il décidé de ne plus s’acharner ? A-t-il accepté que l’on puisse ne rien savoir d’autre ? Pour montrer que, selon lui, l’affaire est close, et qu’il est temps de passer à autre chose, le jésuite a d’abord laissé agir le silence. Puis, tel le Samaritain se portant au secours du chagrin, il s’est approché peu à peu, et, depuis, tente l’onctuosité. Procédant prudemment, par touches délicates, il se veut serviable et gentil. Ainsi, il parle, non pas de sujets personnels puisqu’il n’en voit aucun à partager, mais de ce Paris que découvre le pensionnaire. Le Louvre, citadelle du roi, les Tuileries… Combien il s’essouffle, donne de la voix, s’efforce d’être naturel, sans oublier d’épier un voisin décidément muet !
Pourtant, lorsque son guide l’invite à tourner la tête afin d’admirer un clocher, Toussaint s’y emploie sans résister, se montrant tel que le décrivait Calmés : docile et résigné. Mais est-il taciturne ou pensif ? Apaisé ou sur ses gardes ? Avant sa foudroyante colère, ils se comportaient tous deux tels des étrangers. Désormais, sont-ils ennemis ? Comment trancher ! Ce fier-à-bras reste bouche close. Il pourrait asphyxier son cicérone de questions sur sa mère. Quelle était la couleur de ses yeux, de ses cheveux ? Le timbre de sa voix ? À la façon dont, ce matin, le barrage a cédé d’un coup, Marolles reste prudent. En prévision d’un assaut, il s’efforce de réunir ses idées tandis qu’ils entrent dans le Marais. Si on l’interroge, il répondra avec calcul, autorité. Il affirmera que les années ont effacé les détails, qu’il se souvient surtout de celui qu’il a sauvé.
Anticipant un nouvel interrogatoire, le révérend travaille ses répliques. Entendant les cris d’un nouveau-né alors qu’il allait sur le pont, il s’est précipité. Constatant qu’il était trop tard pour secourir la mère, il a décidé avec clairvoyance de protéger un être sans défense. N’en étant pas moins prêtre, il s’est penché sur la jeune femme pour bénir son âme et l’adresser à Dieu. Un court réconfort destiné à une mourante qui, accrochée à son bras, murmurait son prénom, Marie , et celui qu’elle donnait à son fils. Toussaint fut donc choisi. Delaforge ? La décision du parrain. Maintenant, se dit-il, venons-en à la gêne entourant la révélation du prénom de cette mère. Fallait-il le dévoiler, abordant dès lors les circonstances tragiques de sa disparition ? Bien sûr. Mais comme un testament qu’il comptait évidemment partager avec ce jeune garçon, quand il le jugerait assez fort pour entendre un récit cruel. Eh quoi ! L’enfant a grandi et son tuteur ne l’avait pas compris ? Peut-on le lui reprocher quand son dessein sincère était de préserver un innocent ?
Marolles se sent pousser des ailes, il reprend confiance. Et si ce maudit filleul lui reprochait d’avoir agi légèrement en abandonnant sa mère, il répondrait :
« Elle mourait. Elle l’était. Son enfant seul pouvait encore être sauvé. Et voici pourquoi tu peux aujourd’hui me torturer ! Si je ne t’avais pas pris dans mes bras, toi aussi, tu serais ad patres ! Mais avant, tu aurais connu la cour des Miracles. Un bougre, un de ceux que tu as vus ce matin, t’aurait arraché au corps tiède de ta mère, il se serait battu avec ses frères brigands pour récupérer ce petit trésor. N’en doute pas, sa protection n’aurait que peu duré et, si tu avais survécu à la faim et au froid, sans doute, t’aurait-il arraché un œil ou coupé une main pour te donner un bel air de mendiant… Tu aurais survécu un temps, jusqu’à cesser de plaire à ton tuteur. Oui, tu serais mort ! Et voilà que tu accuses ton parrain, ton protecteur, de mentir, ou plutôt de t’avoir tu la vérité au seul
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