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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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regard, aucun sourire. Un instant, oui, Marie prend vie, souffre, appelle… Et s’éteint, en effet. Son fils ferme les yeux. Il doit s’accrocher, ne pas céder à l’émotion.
    — Vous ne la connaissiez pas ?
    Le ton reste solide, sans appel.
    — Je le jure !
    Une promesse lâchée trop vite. Le visage est gris, le regard fuyant. C’est celui d’un homme ignorant la méthode forte, amolli par des années de confort, de prudentes et civiles manières, et jamais contredit par un monde policé, craignant son pouvoir d’absolution. Le voici à mille lieues de son confessionnal, les pieds baignant dans la gadoue, dans le cloaque de la Seine, entouré de forbans, de canailles qui comptent les points, détaillent la riche tenue dont ils s’empareront quand celui qui le menace en aura terminé, car ils connaissent cette colère-là. Elle finit toujours mal.
    — Alors, mon parrain, je le réclame encore, et pour la dernière fois : comment deviner qu’elle avait choisi de m’appeler Toussaint ?
    Il pose les mains sur les hanches. Il ricane :
    — Faut-il remercier le Saint-Esprit !
    Marolles balaye l’air de la tête. Pas un instant il n’a imaginé subir une telle épreuve. Où est passé l’enfant taciturne que lui décrivait le Père supérieur ?
    — Ta mère a prononcé ce prénom alors qu’elle mourait, cède-t-il, emporté par l’assaut. Ensuite, je t’ai pris dans mes bras, et…
    — Elle mourait. Vous l’avez donc bénie, foi de jésuite !
    — Oui, oui… Je l’ai fait, gémit-il.
    — Afin de recommander son âme à Dieu, s’adoucit Toussaint, vous lui avez donc demandé son nom, n’est-ce pas ?
    Il serait impossible de prétendre le contraire.
    — Oui, je l’ai fait, répète-t-il.
    — Quel est-il ?
    Le prêtre ouvre la bouche, hésite trop. Il étouffe. Un prénom, vite. Mais un seul vient, cogne pour sortir. Sa tête en est remplie, ses yeux ne voient qu’un visage et le sang et Paillard. Il faut les chasser. Qu’ils partent ! Hélas ! tout est si confus…
    — Marie, jette-t-il malgré lui, maudissant cet aveu guidé par la panique.
    — Son nom !
    — Je ne le connais pas.
    — Jurez-le.
    — J’ai déjà juré. Je l’ai fait, souffle-t-il pour la troisième fois, tel Pierre reniant Jésus 7 . Elle ne m’a donné que son prénom…
    Marie pénètre doucement dans le cœur de Toussaint, entre dans ses veines. Marie . Mais il ne peut s’attendrir. Pas encore. Alors, il sort de sa torpeur et sonde Marolles tel le père Calmés soumettant ses élèves à un examen de conscience.
    — Sur ce point, lâche-t-il enfin, j’accepte de vous croire.
    La voix a faibli, paraît moins assurée. Marolles doit en profiter :
    — Je t’ai caché la vérité pour te protéger. Je ne voulais pas que tu souffres en découvrant des détails douloureux.
    Il se tait. Son histoire pourrait être vraie.
    — Où a-t-elle été enterrée ?
    Tudieu ! Marolles l’ignore. Mais il faut répondre :
    — Après t’avoir sauvé, je suis revenu. Son corps avait disparu.
    Le regard de son adversaire vacille, s’égare de-ci de-là, sonde le quai. Qu’a-t-on fait de la dépouille ? Où se trouve-t-elle ? C’est très exactement les questions que redoute le jésuite. Mais sans réponse, la mort ne sera pas complète, le deuil ne peut commencer.
    — Souhaites-tu entendre que ta mère a été jetée dans la Seine ? invente le jésuite avec autorité afin d’en finir.
    L’image est trop dure. Toussaint fléchit, sa tête dodeline, ses épaules s’affaissent. Marolles comprend qu’en se montrant féroce il reprend le dessus. Aussitôt, le ton devient méchant :
    — C’est la vérité de ce monde ! crache-t-il en désignant les gueux qui les entourent. Et tu me reproches d’avoir voulu t’épargner ?
    — Vous ne savez rien d’autre ? souffle le jeune homme, alors que les larmes lui montent enfin aux yeux.
    Un mouvement bref du menton sert de réponse. Mâchoires serrées, c’est non. Voilà une vie raccourcie, résumée, qui glisse dans l’eau, s’y dissipe, meurt doucement. La tension se relâche. Le jésuite reprend espoir. Ils vont quitter le quai. Les heures suivantes seront lourdes, mais le plus difficile est passé.
    — Ici, il n’y a plus rien à apprendre, assène-t-il.
    Toussaint est-il convaincu ? Il remplit d’air ses poumons :
    — Je désire retourner dans la maison où je vécus autrefois.
    Son regard, remontant de l’enfer, semble s’adoucir :
    — Et revoir Aurore.
    Marolles

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