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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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sans sourire, sans même desserrer les dents, emprisonnant sa tristesse de peur que les larmes jaillissent. Mais il l’avait gardée et prise si souvent entre ses mains qu’après tant d’épreuves et de chagrin, un seul pétale, fané, séché, meurtri, devenu papyrus, avait survécu : celui qu’il enfermait dans son poing à la sortie de collège.

    — Berthe est-elle toujours en cuisine ? demande-t-il d’une voix calme qui rassure Marolles.
    — Elle mourra à la tâche ! grimace le jésuite.
    — Je serais heureux de la revoir.
    — Et Aurore ?
    — Plus tard, murmure Toussaint. Plus tard…
    — Dans ce cas, je vais la prévenir. D’ailleurs, est-elle là ?
    Toussaint ne semble pas avoir entendu. Il compte les pas qui le séparent de la cuisine. Sur le fronton de cette façade, on trouve un cartouche faisant pendant au thème de la Vérité évoquée dans la cour d’honneur. Est-ce elle qui le pousse à entrer chez le marquis de La Place ? La porte est ouverte. Il regarde Berthe qui lui tourne le dos.
    — Je te laisse, glisse Marolles, soulagé de ne plus avoir à jouer ce personnage chafouin.
    Le prêtre n’est pas inquiet. Cette femme ne l’a jamais trahie depuis le jour où il a surgi dans ses cuisines, réclamant de l’eau chaude et des linges propres pour le nouveau-né car, disait-il, sa mère était morte en couches – et il s’engageait à veiller sur lui. La générosité du jésuite, tout comme la présence à ses côtés d’une nourrice, n’avaient pas surpris la cuisinière puisqu’elle connaissait Marie. Pourquoi ne lui était-elle pas étrangère ? S’étaient-elles déjà croisées ici, chez le marquis ? Comment le savoir, puisque Marolles lui avait fait jurer de ne plus jamais prononcer son prénom, ni même d’y faire allusion, d’oublier jusqu’à son existence, sous peine de se condamner aux enfers. Au cours des années où Toussaint vécut dans ses jupons, elle avait respecté sa promesse, craignant l’ire du confesseur du marquis de La Place et plus encore, s’interdisant de blasphémer Dieu. S’ajoutait chez elle une sincère opinion : elle savait qu’évoquer l’existence de Marie déclencherait aussitôt un séisme aux effets redoutables, y compris pour Toussaint, un enfant qu’elle aimait protéger. Marolles l’a prévenue : si la vérité s’apprend, le petit devra quitter l’hôtel du marquis de La Place. Depuis, le révérend n’en doute pas. Berthe s’arracherait la langue plutôt que de trahir sa parole.
    — Je viendrai te chercher, souffle-t-il encore.
    Il a beau parler bas, la vieille Berthe possède une fine oreille. Elle se retourne, regard méfiant. Qui entre chez elle ? Elle écarquille les yeux. Le jésuite, oui. Mais à ses côtés ? Il lui faut encore réfléchir et chercher avant de se convaincre qu’il s’agit de…
    — Toussaint, Grand Seigneur !
    Et la cuisinière ne trouve rien de mieux à faire que de fondre en larmes.

    Celle qu’il craignait dès qu’elle fronçait les yeux se montre en réalité une petite femme pétrie de bonté. Berthe s’est nichée dans les bras du jeune homme, mais son visage ne dépasse pas les épaules de celui qu’elle serre, qu’elle étouffe contre sa poitrine et son ventre rebondi. Il l’entend pleurer et rire, son corps est parcouru de soubresauts et malgré l’armure qu’il s’est construite, la tendresse le gagne.
    — Crénom ! suffoque Berthe en s’écartant enfin, tu es devenu un beau jeune homme…
    Elle s’essuie les yeux à l’aide de son tablier pour détailler Toussaint, et ne s’en lasse pas. Qu’a-t-il gardé de son enfance ? La cicatrice, bien sûr, une plaie si vive qu’on la croirait d’hier. Le reste de son visage lui semble charmant. Mais est-elle impartiale ? Ses yeux ne la trahissent pas, décide-t-elle. Ceux de Toussaint sont éclatants. Le voile terne, et touchant à la fois, qui racontait la triste solitude du garçon orphelin a disparu. Désormais, le regard est perçant et des pépites de vert et de bleu azur se mêlent au gris, hier affadi. Ses yeux-là feront tourner les têtes, prédit la cuisinière, et le reste du personnage ne la déçoit pas. Les dents sont régulières, la bouche s’est épaissie, seuls les cheveux noirs où affleurent quelques boucles séduisantes mériteraient d’être plus longs. Mais la faute en revient au collège. Ses mains, voyons cela… elles sont fines et longues. Et regardez cette carrure, cette belle taille ! Six pieds, ou

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