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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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motif que tu étais fragile, petit, et réservé au point de ne jamais poser la moindre question ? Vas-tu bientôt me reprocher d’avoir veillé sur toi ? De t’avoir sauvé ? »
    Le jésuite se sent soudain à l’aise, si décidé à combattre qu’il en viendrait à espérer que Toussaint engage à nouveau la bataille…
    — C’est ici. Je reconnais l’entrée.
    Arraché à ses pensées vengeresses, Joseph de Marolles sursaute. Toussaint montre du doigt une lourde porte fermée.
    — Nous voici arrivés chez le marquis de La Place, poursuit-il.
    Pourtant, ce porche n’est pas orné d’une guirlande de feuilles de chêne.
    De fait, il s’agit de l’accès où s’annoncent les domestiques, les valets et les nombreux artisans œuvrant à l’entretien de la bâtisse. On s’attend à une cour quelconque, écho vulgaire à la majestueuse entrée principale, or l’inverse se produit. Devant, c’est une île ; ici, un jardin ou mieux encore, une oasis. Celle-ci est cernée de rosiers, arborée aux quatre coins d’essences nobles, sillonnée d’allées, tandis qu’au centre trône un parterre de broderie de buis centenaires que la main d’un habile et patient jardinier a métamorphosé au fil des ans en d’infinies arabesques. Dans cet olympe terrestre, l’eau claire chante par la grâce d’un bassin où, entrelacés à un tourbillon de bulles argentées, nagent quelques poissons dignes et philosophes aux écailles mordorées. Mais le principal – du moins, le plus sublime –, et le point d’orgue de ce tableau, réside dans la majestueuse orangerie siégeant sur le côté et dont on ne sait dire si elle fut conçue pour exhaler l’effluve parfumé des arbres fruitiers qu’elle protège l’hiver ou pour servir de palais aux faunes et farfadets qui règnent la nuit sur ce jardin, rival de Babylone.
    Quels souvenirs restent-ils à Toussaint ? Tout est si proche et si différent des images auxquelles il s’accroche depuis huit ans. Les proportions, les tailles, les couleurs ont changé. Ici, un arbre a grandi, les branches de celui-là caressent désormais le treillage en forme d’arc de triomphe fixé au mur frontalier de ce royaume, un autre n’existait pas. Les allées ont-elles rétréci ? Pourquoi le bassin ne ressemble-t-il plus à un océan sans limites, aux fonds peuplés de monstres aquatiques dont son cœur d’enfant redoutait l’apparition ? Pourtant, la magie opère. Des voix, des visages, remontent à la surface. La parenthèse de Montcler se referme. Il lui semble être venu en ces lieux la veille, y avoir joué ce matin, couru, crié. Lui reviennent ces courses folles où il prenait le pari de faire le tour complet du parterre sans respirer, et s’il réussissait, Aurore descendrait sûrement le rejoindre. Voilà que d’autres images se précisent, se précipitent. Il trébuche sur un caillou pointu et tombe, mains en avant. La blessure aux paumes est profonde, mais il ne grimace pas car Aurore est là, soigne sa plaie. Non, il n’a pas oublié la douleur à laquelle se mêlait la douceur de la petite fille – et les deux surgissent de la nuit des temps.

    — Ne reste pas ainsi sans bouger, s’impatiente un Marolles plus solide depuis qu’il se sent sur ses terres. Personne n’attend ta visite. Il faut nous annoncer.
    Une silhouette furtive passe derrière une baie donnant sur le jardin. La démarche est lourde, le dos se courbe, les bras s’accrochent à un seau débordant de fruits rouges. Toussaint a reconnu Berthe, la cuisinière. Elle porte un tablier semblable à celui dont elle se servait pour s’essuyer les mains avant d’ouvrir la porte du jardin, maugréant et se reprochant de céder aux jérémiades du garçon qui la suppliait et lui jurait d’être sage. Alors, et seulement les jours où le marquis et son confesseur s’absentaient, Toussaint rejoignait Aurore. Chaque minute comptait, pourtant Berthe prenait encore le temps de réunir les deux enfants et tandis qu’ils croisaient sagement les bras, elle leur récitait les règles à respecter : ne jamais fouler les parterres, sinon Gaston, le jardinier, se plaindrait à monsieur le marquis. Ne pas approcher du bassin ou monter aux arbres, et autant d’interdits terriblement tentants. Ainsi, qui aurait pu résister à l’envie de braver la censure et de couper une rose pour l’offrir à un petit garçon qui ne se plaignait pas le jour du départ au pensionnat de Montcler ? Toussaint s’en était saisi

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