Un jour, je serai Roi
aujourd’hui…
Marolles se tend. La cuisinière les écoute.
— Puisque le passé est enterré à jamais, continue son filleul.
Rien de ce que vous m’avez appris aujourd’hui . Berthe en déduit que Toussaint ne lui a donc pas menti. Se parjurant, le jésuite a bien divulgué une partie de la vérité. Voilà qui est étrange, incompréhensible et contraire à toute prudence. Le bon sens de la cuisinière lui a toujours soufflé de ne jamais dire à Toussaint ce qu’elle sait de sa naissance. Et l’autre, le fichu confesseur du marquis de La Place met les pieds dans le plat … Fichtre ! Ces combinaisons et ces arrangements dépassent une âme simple. On lui a demandé de se taire ? Elle le fera. Surtout pour venir en aide à l’orphelin et aussi parce qu’elle n’aime pas le révérend et son air de fausseté. Hier, il fallait tout cacher ; aujourd’hui, il agit au contraire ! Cette affaire soudain compliquée lui déplaît. Sa nature est trop sincère et trop bonne pour aimer les coups tordus. Motus et bouche cousue, voilà ce qu’elle décide et s’y pliera. Quant à Marolles, il entend ce qui l’arrange ou le rassure : le passé est enterré , vient d’assurer Toussaint. C’est donc qu’il tournerait la page et s’engagerait sur la voie de l’apaisement ? Croire à un retournement aussi rapide, aussi… miraculeux serait imprudent.
— Allons, lance froidement le jésuite, toujours sur le quivive. Aurore nous attend.
Toussaint enrage. Mais que faire ? La tête lourde, il entre dans les pas de Marolles. Ils sont déjà sortis, s’éloignent.
— Attendez, mon parrain !
— Qu’y a-t-il ? se tend Marolles. L’heure du retour à Montcler avance.
— Justement. Je n’aurai pas le temps de dire au revoir à Berthe et je songeais à le faire à présent…
— Je t’attends. Dépêche-toi !
*
Berthe, posée sur un tabouret, a l’œil songeur. En voyant Toussaint revenir, elle sursaute.
— Mon garçon, murmure-t-elle, pourquoi remuer la terre ? Ce qui est enfoui n’est pas bon pour toi… Crois-moi, tu ne dois plus chercher…
— C’est ma vie. À moi de décider !
— Je t’en supplie, laisse le passé où il est.
— À une seule condition, rugit-il. Mon père ? Son nom !
— Jamais, bredouille Berthe. Tu éprouverais trop de chagrin…
Elle le connaît ! Première victoire. Malgré la fureur qui l’anime, Toussaint s’efforce de recouvrer son calme.
— Dis-moi au moins s’il est vivant ? s’adoucit-il.
La cuisinière se tait. Peu importe. La réponse se trouve dans la question suivante :
— Il demeure à Paris ?
Toujours rien. Mais Berthe ne peut s’empêcher de jeter un regard vers la porte de la cuisine. Puis ses yeux se lèvent vers le ciel, ou le plafond, comme l’enfant à qui on demande où se trouve sa cachette et qui ne parvient pas à retenir un coup d’œil fugace vers le tiroir de la commode.
— Il vit ici ? tente-t-il le cœur battant.
Berthe baisse la tête et ce geste équivaut à un aveu.
— Va-t’en… bredouille-t-elle alors que ses joues se couvrent de larmes.
Toussaint se retourne brusquement. Il part, se retient de claquer la porte, et quand il retrouve Marolles, rien de lui ne raconte sa folie intérieure.
1 - La description rappelle celle de l’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, situé rue de la Culture ou Couture-Sainte-Catherine (rue de Sévigné), œuvre de l’architecte Pierre Bullet. On peut voir ce chef-d’œuvre, non loin du musée Carnavalet.
2 - Sans doute autour de 1,80 m.
Chapitre 14
L E CHEMIN QUI MÈNE au vestibule est d’inégale longueur pour Joseph de Marolles et Toussaint Delaforge. Le premier s’active dans l’espoir de raccourcir le temps, comme si l’allure pouvait effacer les minutes, car il ne songe qu’au moment du départ. Dès que son filleul aura quitté l’hôtel de La Place, il le rendra à Montcler. Et en sera débarrassé. Cinq heures, a précisé Calmés, et les aiguilles de l’horloge trônant dans le couloir qu’ils traversent s’acharnent sur le chiffre trois. Le second vogue entre deux eaux où se mêlent les émotions les plus contraires. Si la porte derrière laquelle se cachaient de ténébreux mystères s’est entrouverte pour lui, la scène reste floue, manque cruellement d’éclairage. Qui était sa mère ? La réponse se heurte à l’inconnu. Chemin faisant vers le Marais, il s’est retenu de questionner ce parrain qui jurait de n’avoir rencontré que brièvement
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