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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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lente, calculée, et si la semelle s’élevait pour ne pas frotter la pierre, le talon marquait le tempo d’un claquement sec, décuplé par l’écho. De fait, l’espace ne manque pas, mais que penser du volume, de la hauteur en somme, dont l’œil du visiteur cherche les limites en estimant, le cou tordu, la longueur de la chaîne soutenant un lustre orné de dizaines de chandelles ? Trente pieds au moins. L’impression d’immensité, de toute-puissance intimidante, se renforce du fait que peu de meubles y sont réunis. Une desserte d’acajou, une vitrine abritant une collection de porcelaines, six fauteuils aux accoudoirs ciselés, c’est tout.
    Les lieux ont une autre visée. À l’entrée, là où patientent les visiteurs, figure l’essence de l’âme la placienne . Les murs racontent l’histoire d’un clan et d’un titre – un pan du royaume de France. La chasse y tient le premier rang. Les trophées s’accumulent. Sangliers, cerfs, renards ou loups – et, dans le coin droit, un ours – rivalisent d’attitudes féroces grâce au talent d’empailleurs ayant fixé pour l’éternité la sauvagerie de fauves herculéens et vaincus, livrant un ultime rictus. La tuerie des animaux fascine les marquis de La Place, et il faut saluer ces aïeux qui ont transmis leur titre aristocratique et préservé leurs richesses afin que la descendance puisse y consacrer la moitié d’une vie.
    En remerciement, les murs exposent in extenso les portraits de la lignée. Quand ils ne se montrent pas à la chasse – à courre, à pied ou à cheval –, parfois en compagnie d’un faucon ou de gentes dames, les ancêtres s’en vont à la guerre, une occupation dispersant ce qu’il leur reste de temps. Pour illustrer cette autre passion, on voit ici François I er , non loin Henri IV et là, Louis XIII, entourés tour à tour de Jules, Placide, Jean de Voigny, les marquis de La Place, et, bien en évidence, le tableau de la bataille d’Azincourt 2 où Henri, transpercé par les flèches des archers anglais, y gagna un supplément d’honneur. Puis au cœur de la galerie, si encombrée qu’on cherche où fixer le prochain titulaire du titre et des terres, voilà que se montre un gigantesque miroir de Murano ciselé d’argent.
    Toussaint le connaît et le déteste. Un jour, échappant à la vigilance de Berthe qui lui interdisait de musarder dans le vestibule, il s’y était vu de la tête aux pieds. Et n’en avait retenu que le reflet exécrable et cruel de sa cicatrice. Aujourd’hui, Delaforge s’en approche si près que la glace se couvre de buée. Il pose la main sur sa plaie, la cache pour qu’elle n’existe plus. Qu’est-ce que cela donne ? Un nez droit, un front qui n’est plus aussi fuyant qu’autrefois. S’il sourit, les yeux gris, en effet, s’illuminent, les joues s’animent de fossettes laissant croire à la candeur. Un visage à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Puis il retire sa main. Le sillon vif qui barre sa joue et remonte vers le front est toujours là. Alors, l’innocence s’évanouit.
    — Pour ça aussi, tu devras t’expliquer, murmure-t-il en pensant à Marolles.
    — À qui parles-tu ?
    À droite, au-dessus de son épaule, le songe qui adoucissait les nuits de Montcler est apparu dans le miroir de Murano.

    Voici la preuve que le temps n’a pas effacé l’attirance. Malgré les années, il semble à Toussaint qu’hier encore il disait au revoir à Aurore ; qu’une nuit est passée, qu’il s’éveille au matin, et que tout est intact. Préservé. Un instant, il a fermé les yeux sur une enfant. Quand il les rouvre, la jeune fille a seize ans. Pourtant il s’agit de la même. Sa longue chevelure retombe sur les épaules. C’est une boule de feu couleur bronze d’où émergent des yeux immenses emprisonnant le bleu céruléen d’un saphir. Sur ce visage d’opale, un peintre a semé çà et là d’émouvantes touches de rousseur – au creux des paupières, non loin de la commissure des lèvres et, pour achever son œuvre, sur le vallon des seins nichés dans le décolleté d’une robe en soie rose. Toussaint ne s’en lasse pas. Par peur de rompre l’alchimie, il voudrait rester ainsi, ne plus bouger, mais l’émoi fait vaciller son regard. Un instant, il quitte l’apparition pour s’intéresser à lui. Alors, il s’accroche à sa cicatrice, ne voit qu’elle, et le miracle s’achève. Ce visage dans le miroir, à côté d’Aurore, est indécent,

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