Un jour, je serai Roi
jaugera peu, l’impatience poussera l’impétrant à en finir de suite. En face, il y aura une parade, une seule, un assaut, un seul, puis le sang de l’adversaire qui devra supplier, demander grâce. La foule n’aura guère le temps de se rassasier que déjà, les flambeaux de l’arène s’éteindront, le rideau tombera. C’est à peine si l’on distinguera encore l’homme masqué, penché sur sa victime. Prie-t-il ? L’achève-t-il ? On ne le saura. On n’entre pas dans le cercle. C’est un ordre. Quand Traîne la patte en aura fini avec les parieurs assemblés autour de lui, et que tous penseront à scruter la scène, il n’y aura plus ni vaincu ni vainqueur. Ce mystère excite, ajoute au spectacle. C’est pourquoi, on reviendra dans l’espoir de voir gagner ou perdre enfin son champion – pourvu que ce soit aussi bon.
Ce soir, avant de se rendre au Rat gris , l’homme au couteau combattra un solide gaillard de l’Oise, un manieur de lame embauché le jour même chez Marcadet, solide boucher installé au bord de la Seine qui, à l’aube, a vu le jeune équarrisseur trancher d’un coup le ventre d’un veau et l’ouvrir comme s’il s’agissait d’un poulet, puis jeter la carcasse entière dans la rivière sans le moindre embarras. De plus, c’est un gaucher.
Alors, Eusèbe Marcadet s’est approché :
— On dirait que le sang ne te fait pas peur…
Pour répondre, l’équarrisseur a léché le taillant affilé de son désosseur.
— Et te battre ?
Le même a souri, et ouvert la bouche, découvrant ses dents de carnassier.
— J’en parle au Tordu , a glissé le patron de l’équarrisseur.
— Qui c’est ?
— Un boiteux. Il organise des combats. Ce soir, ça ira ?
L’équarrisseur a haussé les épaules.
— Si tu gagnes, c’est cent deniers.
Mordiou ! Mieux que la paie.
Marcadet a tendu la main pour acter le contrat :
— Ton nom ?
— Basile.
— C’est tout ?
L’autre a hoché de la tête.
Ce sera court à graver sur sa tombe, a songé Marcadet.
Le puissant Basile se présente aux arènes le soir même et il aime que les badauds le regardent, que certains le touchent pour vérifier la dureté de ses muscles et sifflent, poussent des oh ! – ce qui est sûrement un sacré signe de respect. Marcadet lui a conseillé de conserver sa veste pleine de sang. Cela ajoutera au spectacle.
— On fait quoi, maintenant ?
— On attend que les flambeaux s’éteignent, répond le boucher.
Traîne la patte se montre enfin. On le voit arriver de loin, claudiquant et allant de guingois.
— Voilà Basile, grogne Marcadet.
Le Tordu apprécie la carrure :
— Ce sera un beau combat. Tu paries ?
Marcadet se démunit de cinq livres.
— Non ! Pas sur mon gars. Je mise sur l’autre…
Basile suit la conversation et ne comprend pas que son patron joue contre lui. Le boucher doit lui expliquer qu’ainsi il gagnera à tous les coups.
— Tu l’enfonces, je touche dix. Il te tue, je sauve cinq…
Ces calculs troublent la cervelle de Basile, ce qui n’est pas prudent. Il vaudrait mieux qu’il soupèse la hache prêtée par Marcadet. Qu’il s’entraîne, en somme. Mais, il n’y a plus de regret à avoir. Le Tordu baisse déjà son flambeau. Alors, un masque de cuir surgit d’ailleurs.
— Le Tordu … murmure Beltavolo.
— Oui, mais on l’appelle surtout Traîne la patte .
— Tu peux compter sur lui ?
— J’en réponds, soutient Simon Lazard, dit l’Irlandais .
Et ce n’est pas une chose à promettre à Beltavolo. Du moins, s’il y a le moindre doute.
— L’autre, le combattant des arènes… Sais-tu qui c’est ?
— Il porte un masque de cuir, débute le patron du Rat gris .
— Et dessous ?
Simon Lazard essuie ses mains sur le tablier et ramasse autant de gras qu’il n’en dépose.
— Il serait balafré. Je sais que ça.
Basile, l’équarrisseur, a du courage à revendre et il ne redoute pas la douleur. Ce soir-là, par deux fois, le couteau de son adversaire l’a touché – au ventre, à la cuisse. Il ne bronche pas, la main reste ferme, la hache ne tremble jamais. Il attend. Il sent qu’il n’aura droit qu’à un coup, comme pour le veau, ce matin. Alors, il tourne, pareillement à son adversaire. Mais la manœuvre l’étourdit. À moins qu’il perde trop de sang. À l’instant, l’homme au masque lui a demandé s’il voulait en rester là et Basile a montré sa rage en frappant le sol avec la hache. Rien n’est dit, rien
Weitere Kostenlose Bücher