Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
Vom Netzwerk:
liberté

Chapitre 15
    I L EXISTE, RUE MOUFFETARD , une taverne plutôt borgne dont le nom, Le Rat gris, se dit sous le manteau. Ce rongeur familier de Paris se pavane sur l’enseigne signalant la gargote. Voilà qui est étrange car la bête est maudite, détestée tout du moins, dans cette rue gargantuesque, pays de cocagne, montagne de tentations où, dès l’aube, les étals débordent de victuailles ragoûtantes, exhalent le parfum alléchant de la viande braisée par le rôtisseur qui y mêlera vers midi l’ail et le thym de Provence. Là-haut, sur cette colline, niche la gourmandise, et l’on est trop occupé à peser, humer, palper les richesses de la nature pour regarder à ses pieds. Ainsi, la faim siège en hauteur pendant que le rat glouton se promène en bas, trottinant sur ses pattes, happant les reliques que lui cède le négoce des bipèdes. Et chacun va dans cette corne d’abondance charriant des tombereaux de vivres aux couleurs chatoyantes, salive devant le mordoré du faisan de Fontainebleau, le camaïeu vert et brouillon des rangs de légumes, les pyramides vermeilles des fruits de saison, tandis que ça et là se pavanent des filles aux joues rougeaudes qui battent la crème onctueuse de leur pays, la Normandie. C’est un flux continu de mains tripotant la volaille et la miche de pain, de nez penchés sur le ventre du poisson, d’yeux estimant l’éclat de ses écailles. C’est un temple à ciel ouvert dédié à la mastication, l’éden païen des cinq sens. Il faut jouer des coudes, râler, palabrer fort pour couvrir la causerie des mégères se plaignant du prix des choses qui remplissent le ventre de l’homme, et celui du rat, rival affamé, combatif, chasseur tenace de viscères, de denrées gâtées, du rassis. Décidément, la bestiole n’est pas bienvenue. Pourtant, elle plastronne sur l’écusson du Rat gris , sculptée en relief dans un morceau de chêne épais. Elle se tient sur ses gardes et sa taille, celle d’un ragondin, impressionne.
    Pour lui donner plus de cruauté, un peintre, barbouilleur des ateliers voisins des Gobelins, a pourvu l’animal de traits féroces. Sa mâchoire grande ouverte exhibe des crocs jaunâtres et pointus évoquant ceux du loup, et ses yeux injectés du sang du pestiféré scrutent le chaland qui, par mégarde, viendrait à s’intéresser au commerce des lieux. Attention ! Tout indique qu’il vaut mieux passer son chemin. L’animal a le dos arrondi, les poils hérissés, les griffes accrochées à la planche. Il est prêt à bondir, et si le dessein est de décourager le curieux, l’artiste a bien travaillé. D’ailleurs, c’est le cas. N’entre pas ici qui veut.

    Malgré cet accueil peu affable, à laquelle se joint l’hospitalité versatile du propriétaire, Simon Lazard, le Rat gris ne désemplit pas. La décoration y est sobre, les tables extrêmement robustes, les murs noircis par la fumée. Mais on ne s’y attarde guère, aspiré d’un coup par l’ambiance volcanique. La salle, plongée dans la pénombre, déborde d’une faune suspecte faisant entendre un pataquès de rugissements, de cris, de borborygmes, d’épouvantables jurons obligeant les jeunes filles pudiques de la Miséricorde-de-Jésus à se boucher les oreilles quand elles passent devant la porte entrouverte, avant de rejoindre leur pensionnat, situé à cent pas de ce monde de perdition. Si le Rat gris tourmente le curieux, c’est aussi pour ce bruit continu et confus de bagarres, de chaises que l’on brise, de silhouettes qui se cognent, s’étourdissent, se brutalisent – et s’étranglent peut-être. À moins qu’il s’agisse du cochon qu’égorge Simon Lazard, colosse de muscles noueux, taillé à la serpe, que le sort a orné d’une tête sans cou, embrouillée d’une barbe fabriquée à la hâte dans le même poil roux que des sourcils épais qui se joignent au milieu, achevant l’impression de faire face au bélier prêt à charger.
    Grâce à Dieu, Simon Lazard, dit l’Irlandais , est occupé et c’est à peine s’il lève les yeux sur les ivrognes qui s’étripent pour une raison futile, sortie d’un énième pichet de vin de Montmartre. Au soir de ce lundi 8 juillet de l’an 1658, il affichera complet. Beltavolo, fine épée de la Mouffe 1 , viendra jouer aux cartes. Une partie de piquet dont l’enjeu se monterait à cent livres, au moins. Une somme considérable, disproportionnée, dont le vrai dessein n’est pas l’argent,

Weitere Kostenlose Bücher