Un jour, je serai Roi
mais le pouvoir.
Beltavolo a trente ans. Il est beau, grand, brun aux yeux verts. Été comme hiver, il porte des chemises blanches, immaculées, dont les manches sont relevées et le col ouvert. C’est son élégance à lui, sa façon d’impressionner, mais aussi de séduire les jouvencelles de la rue Mouffetard. Au milieu du torse, il s’est fait tatouer un soleil orange et or par Zanko, un Tzigane sévillan, marin et pirate des Caraïbes, dont la langue fut coupée par l’un des derniers guerriers Taïnos d’Hispaniola 2 . Au-dessus de l’astre, sur les pectoraux, est gravé Morir per non morir , « Mourir pour ne pas mourir ». À bon entendeur, salut. Beltavolo est prêt à renoncer à la vie, mais il défendra son honneur, celui de brigand et de chef. Il détrousse et rançonne. Il gouverne un peuple de coupe-jarrets et de femmes aventurières. Son règne est grand, mais sera-t-il court ? Pour qu’il dure longtemps, Beltavolo surveille ses arrières et le présent. Sa secte de fidèles lui reconnaît la qualité du juste. Il punit sévèrement la trahison, il tue, s’il le faut, mais il n’est pas avare des richesses que lui procure son statut de hors-la-loi. Il partage en effet, au sou près, le butin que sa troupe rapporte de ses escapades furtives, en bas, près de la Seine et du Louvre, mais assez loin du Marais. À chacun son quartier.
La devise est sage. À ce prix, la paix règne entre les bandes, même s’il lui faudra, ce soir encore, défendre son rang car il ne compte plus ceux qui l’ont défié sans succès. Mais Beltavolo ne craint personne. Encore qu’il se méfie du nouveau prétendant. On dit qu’il se bat tel Hercule, qu’il vit seul, sans second. N’aurait-il peur de rien ? La provocation tourne à l’insolence en apprenant que c’est lui qui se présentera au Rat gris . La rencontre avec Beltavolo n’est pas officielle. Rien ne dit qu’il s’agira d’un défi. Le nouveau venu a simplement fait savoir qu’il se rendait dans ce bouge pour jouer aux cartes et qu’il croyait respectueux d’informer Beltavolo. L’intrus est donc rusé. Sa visite ne se voudrait pas belliqueuse, mais, en la rendant publique, elle devient incontournable. Et contrariante… Deux coqs sur le même territoire, cela peut tourner mal.
Jusqu’à présent, une sorte de modus vivendi régentait leurs relations. À moi le haut de la Contrescarpe, à toi le bas de la rue Sainte-Geneviève. Mais comment accuser le gêneur de vouloir la guerre ? Il vient et prévient, ménageant la susceptibilité de son hôte. Le coup est finement orchestré. Manie-t-il les cartes aussi bien que le couteau ? À sa façon de s’annoncer en se servant de sa tête, on doit l’imaginer, d’autant qu’une belle réputation le précède. Ce guerrier aurait, raconte-t-on, l’âme d’un chef. Oui, s’il monte et s’il gagne, le ver sera dans le fruit car l’opinion des hommes est versatile et n’aime pas les perdants. Alors que faire ? Éliminer le danger à la faveur de l’ombre, entre lune et caniveau ?
Voilà exactement ce qu’un champion s’interdit – du moins dans un premier temps. Il lutte au grand jour, se mesure et l’emporte. Mais s’il échoue ? Pour l’heure, la question ne se pose pas. Beltavolo s’installera à la table, ce soir. Lui seul, car il a décidé qu’il ne pourrait y en avoir d’autre. En attendant, il se veut fataliste. Qui vivra verra. Surtout, ne pas se montrer inquiet. Ce matin, on l’a donc vu musarder dans son royaume et s’il saluait, on lui répondait, puisqu’il est apprécié. Un contrat tacite l’unit aux natifs . Il ne s’en prend jamais à eux et ne rançonne aucun commerce. Mieux, il les protège des vandales de la Bastille, de l’île de la Cité, de la cour des Miracles – il y en a tant – qui rêvaient de mettre en coupe réglée la montagne Sainte-Geneviève avant que ce César en chemise blanche ne la choisisse pour patrie. Dès lors, et au moins jusqu’à ce soir, personne ne songe à dénoncer ce traité. Lâcher la proie pour l’ombre ? Mieux vaut un Beltavolo aux méthodes connues et dont les hommes, postés au Pont-aux-Biches, là où coule la paisible Bièvre 3 , gardent la frontière septentrionale de la montagne Sainte-Geneviève. À ce passage, les étrangers versent une taille 4 dont le montant s’estime selon ce que chacun monte à pied, en charrette, à dos de mulet, vers la place de la Contrescarpe, siège du gouvernement de
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