Un long chemin vers la liberte
programme d ’ activités. Patrick Molaoa et Peter Nthite, deux responsables importants de la Ligue de la jeunesse, organisaient des séances de gymnastique. Des débats sur les sujets les plus divers avaient lieu ; le professeur Matthews nous a parlé à la fois de l ’ histoire de l ’ ANC et des Noirs américains, Debi Singh nous a fait une conférence sur l ’ histoire du SAIC, Arthur Letele sur les guérisseurs africains, et le révérend James Catala sur la musique africaine – il chantait aussi d ’ une belle voix de ténor. Chaque jour, Vuyisile Mini, qui des années plus tard a été pendu par le gouvernement pour crimes politiques, dirigeait le croupe qui chantait des chants de liberté. Un des plus populaires était :» Nans ’ indod ’ emnyama Strijdom, Bhasobha nans ’ indod ’ emnyama Strijdom » (Voici l ’ homme noir, Strijdom, attention à l ’ homme noir, Strijdom). Nous chantions à gorge déployée et cela nous donnait un moral d ’ acier.
Une fois, Masabalala Yengwa, plus connu sous le nom de M.B. Yengwa, le fils d ’ un ouvrier zoulou, et secrétaire de l ’ ANC pour la province du Natal, participa à une conférence consacrée à la musique en récitant un poème en l ’ honneur de Chaka, le roi et guerrier zoulou légendaire. Yengwa s ’ est drapé dans une couverture, il a roulé un journal en guise d ’ épée, et a commencé à marcher de long en large en déclamant les vers. Nous étions tous subjugués, même ceux qui ne comprenaient pas le zoulou. Puis il a fait une pause avant de déclamer : « Inyoni edlezinya ! Yathi isadezinye, yadiezinya ! » Ces vers comparent Chaka à un oiseau de proie qui tue impitoyablement ses ennemis. Une clameur s ’ est élevée. Le chef Luthuli, qui jusque-là était resté silencieux, s ’ est dressé en hurlant : « Ngu Shaka lowo ! » (Voici Chaka !) et il s ’ est mis à danser et à chanter. Ses mouvements nous ont électrisés et nous nous sommes tous redressés. Les danseurs accomplis des dancings et les paresseux qui ne connaissaient ni les danses traditionnelles ni les danses occidentales ont tous rejoint l’ Indlamu, la danse de guerre traditionnelle zouloue. Soudain, il n ’ y avait plus de Xhosas, de Zoulous, d ’ Indiens, d ’ Africains, de responsables de gauche ou de droite, religieux ou politiques ; nous étions tous des nationalistes et des politiques liés par l ’ amour de notre histoire, de notre culture, de notre pays et de notre peuple. A cet instant, quelque chose s ’ animait au plus profond de nous, quelque chose d ’ intime et de fort, qui nous liait les uns aux autres. A cet instant, nous sentions le passé immense qui nous avait faits tels que nous étions et le pouvoir de la grande cause qui nous réunissait.
Deux semaines plus tard, le 19 décembre, nous avons comparu pour l ’ interrogatoire préliminaire, au Drill Hall de Johannesburg, un bâtiment militaire que, d ’ ordinaire, on n ’ utilisait pas comme tribunal. Il s ’ agissait d ’ une grande bâtisse qui ressemblait à une grange, avec un toit de tôle ondulée, et qui était le seul immeuble public assez grand pour accueillir autant d ’ accusés.
On nous a emmenés dans des cars de police fermés à clef, escortés par une demi-douzaine de transports de troupes remplis de soldats en armes. A cause de toutes ces précautions, on aurait pu croire que la guerre civile avait éclaté. Une foule immense de partisans bloquait la circulation dans Twist Street ; nous les entendions crier et chanter et ils nous entendaient leur répondre de l ’ intérieur des fourgons. Le voyage s ’ est transformé en cortège triomphal et la foule balançait les véhicules qui avançaient lentement. Des soldats et des policiers, l ’ arme au poing, encerclaient tout le périmètre de Drill Hall. Les fourgons se sont rangés derrière le bâtiment de telle façon qu ’ en descendant nous entrions directement dans la salle.
A l ’ intérieur, nous avons été accueillis par une foule de partisans et la salle ressemblait plus à un meeting de protestation qu ’ à un tribunal. Nous sommes entrés en levant le pouce, le salut de l ’ ANC, et nous avons fait signe à nos partisans assis dans la partie réservée aux non-Blancs. Les accusés se sont mêlés aux journalistes et aux amis et l ’ atmosphère était plus à la fête qu ’ à la répression.
Le gouvernement nous accusait de haute trahison et
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