Un long chemin vers la liberte
faibles, on ne pense pas à la couleur de sa peau ni à son statut social. Je n ’ ai jamais fait de vrais combats après être entré en politique. Ce qui m ’ intéressait avant tout, c ’ était l ’ entraînement ; je trouvais dans la rigueur de l ’ exercice une excellente façon de me décharger de la tension et du stress. Après une séance énergique, je me sentais mentalement et physiquement plus léger. C ’ était un moyen de me perdre dans autre chose que la lutte. Quand je m ’ étais entraîné le soir, je me réveillais le lendemain matin frais et dispos, prêt à reprendre le combat.
J ’ allais au gymnase une heure et demie chaque soir, du lundi au jeudi. Après le travail, je rentrais directement à la maison, et avec Thembi nous allions en voiture jusqu ’ au Centre communautaire. Nous faisions une heure d ’ exercice, un mélange de jogging, de corde à sauter, de gymnastique, d ’ entraînement du geste, suivi de quinze minutes de musculation et d ’ haltères pour finir par un match amical. Si l ’ on s ’ entraînait pour un vrai match ou pour un tournoi, la séance durait deux heures et demie.
Nous dirigions les séances d ’ entraînement chacun à notre tour, pour développer l ’ autorité, la confiance en soi et l ’ initiative. Thembi aimait particulièrement diriger. Ces soirs-là, les choses étaient un peu dures pour moi parce que mon fils me choisissait pour faire ses critiques. Il avait beaucoup d ’ autorité et me reprenait tout de suite quand je devenais paresseux. Au gymnase, tout le monde m ’ appelait « chef », un titre honorifique qu ’ il évitait soigneusement d ’ employer, préférant dire « monsieur Mandela », et, parfois, quand il avait de la sympathie pour son père, « mon bra », qui en argot des townships signifiait « mon frère » (brother). Quand il me voyait tirer au flanc, il disait d ’ une voix sévère : « Monsieur Mandela, vous nous faites perdre notre temps ce soir. Si vous ne pouvez pas suivre, vous n ’ avez qu ’ à rentrer chez vous pour vous asseoir avec les femmes. » Tout le monde adorait ce genre de plaisanteries et voir mon fils si heureux et si sûr de lui me rendait heureux.
La camaraderie qui régnait entre nous s ’ est effondrée cette année-là à cause d ’ une querelle entre Skipper Molotsi, le directeur, et Jerry Moloi, notre boxeur vedette. Jerry et les autres boxeurs avaient l ’ impression que Skipper ne s ’ occupait pas bien du club. Skipper avait de grandes qualités d ’ entraîneur mais il était rarement présent pour nous faire partager son savoir. C ’ était un historien de l ’ art de la boxe et il pouvait nous raconter les vingt-six rounds du célèbre combat de Jack Johnson, à La Havane en 1915, quand le premier champion du monde noir des poids lourds avait perdu son titre. Mais Skipper avait tendance à ne se montrer qu ’ avant un match ou un tournoi pour encaisser le peu d ’ argent qu ’ on lui devait. Moi-même, j ’ étais assez d ’ accord avec Jerry mais j ’ ai fait ce que j ’ ai pu pour rabibocher les adversaires afin de ne pas rompre l ’ harmonie. A la fin, même mon fils était d ’ accord avec Jerry pour critiquer Skipper et je n ’ ai pas pu empêcher la rupture.
Les boxeurs, sous la direction de Jerry, menaçaient de faire sécession et d ’ ouvrir un autre club. J ’ ai organisé une réunion de tous les membres et la séance a été très animée – on y parlait en sesotho, en zoulou, en xhosa et en anglais. En attaquant les boxeurs rebelles, Skipper a même cité Shakespeare, accusant Jerry de le trahir comme Brutus avait trahi César. « Qui c ’ est, César et Brutus ? » a demandé mon fils. Avant que j ’ aie eu le temps de lui répondre, quelqu ’ un a dit : « Ils sont pas morts ? — Oui, a répondu Skipper. Mais la vérité à propos de leur trahison est toujours vivante ! »
La réunion n ’ a rien résolu, les boxeurs ont déménagé et les haltérophiles sont restés au centre communautaire. J ’ ai suivi les boxeurs et pendant les premières semaines de séparation nous nous sommes entraînés dans un endroit très inconfortable pour un combattant de la liberté : le gymnase de la police. Ensuite, l ’ Eglise anglicane nous a offert des locaux avec un loyer bon marché à Orlando East et nous nous sommes entraînés sous la direction de Simon (Mshengu) Tshabalala qui, plus tard, est
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