Un long chemin vers la liberte
exemple de l ’ échelle mobile de l ’ apartheid : 250 livres pour les Blancs, 100 livres pour les Indiens et 25 livres pour les Africains et les métis. La trahison était sensible aux différences de couleur. Des partisans appartenant à tous les milieux sociaux se sont proposés pour payer les cautions de tous les accusés, des gestes de soutien qui plus tard ont formé la base du Fonds de soutien du procès de trahison, lancé par l ’ évêque Reeves, Alan Paton et Alex Hepple. Nous étions libérés à la condition de nous présenter une fois par semaine au commissariat de police, et il nous était interdit d ’ assister à toute réunion publique. Le procès devait reprendre début janvier.
Le lendemain, je suis allé au bureau aux aurores. Oliver et moi, nous sortions tous deux de prison et nos dossiers nous attendaient. Alors que j ’ essayais de travailler, j ’ ai reçu la visite d ’ un vieil ami, Jabavu, un interprète professionnel que je n ’ avais pas vu depuis plusieurs mois. Avant les arrestations, j ’ avais décidé de maigrir, dans la perspective de la prison, où l ’ on doit être maigre et capable de vivre de peu. Pendant ma détention, j ’ avais continué mes exercices et j ’ étais content d ’ être en forme. Mais Jabavu m ’ a regardé d ’ un œil soupçonneux. « Madiba, m ’ a-t-il dit, pourquoi est-ce que tu es si mince ? » Dans la culture africaine, on associe souvent l ’ embonpoint à la richesse et la santé. Et il a crié : « Tu as eu peur de la prison. Tu nous as fait honte, à nous, les Xhosas ! »
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Avant le procès, mon mariage avait commencé à aller mal. En 1953, Evelyn avait décidé de suivre des cours pour devenir sage-femme et compléter son diplôme d ’ infirmière par une spécialité. Elle s ’ est inscrite à une école de sage-femmes au King Edward VII Hospital de Durban, ce qui l ’ obligerait à être absente pendant plusieurs mois. Ma mère et ma sœur habitaient avec nous, elles pouvaient donc s ’ occuper des enfants. Pendant son séjour à Durban, je suis allé lui rendre visite au moins une fois.
Elle est revenue après avoir passé ses examens. Elle était de nouveau enceinte et elle a donné naissance à Makaziwe, qui portait le nom de la petite fille que nous avions perdue six ans plus tôt. Dans notre culture, donner à un nouveau-né le nom d ’ un enfant décédé est considéré comme une façon d ’ honorer sa mémoire et de conserver un attachement mystique à l ’ enfant parti trop tôt.
Au cours de l ’ année suivante, Evelyn s ’ est engagée dans l ’ organisation de la Tour de garde, qui faisait partie des Témoins de Jéhovah. Je ne sais pas si cela résultait d ’ une insatisfaction dans sa vie à ce moment-là. Les Témoins de Jéhovah considéraient la Bible comme la seule loi et croyaient à un grand conflit futur entre le bien et le mal. Evelyn a commencé à distribuer avec zèle leur publication, La Tour de garde, et à essayer de me convaincre de transformer mon engagement dans la lutte en un engagement pour Dieu. Même si je trouvais certains aspects du système de la Tour de garde intéressants et de valeur, je ne pouvais partager sa dévotion. Il y avait un élément obsessionnel qui me déconcertait. D ’ après ce que je pouvais comprendre, sa foi lui enseignait la passivité et la soumission en face de l ’ oppression, quelque chose que je ne pouvais pas accepter.
Mon engagement dans l ’ ANC et dans la lutte était irrémédiable, et cela troublait Evelyn. Elle avait toujours pensé que la politique était un amusement de jeunesse et que je rentrerais un jour au Transkei pour exercer mon métier d ’ avocat. Quand cette possibilité s ’ est éloignée, elle ne s ’ est jamais résignée au fait que nous continuerions à habiter à Johannesburg, et elle n ’ a jamais abandonné l ’ idée que nous allions rentrer à Umtata. Elle pensait qu ’ une fois au Transkei, au sein de ma famille, je reprendrais mon rôle de conseiller de Sabata et que la politique ne me manquerait pas. Elle encourageait les efforts de Daliwonga qui cherchait à me persuader de revenir à Umtata. Nous nous disputions souvent à ce sujet, et je lui expliquais patiemment que la politique ne représentait pas un amusement mais le travail de ma vie, qu ’ il s ’ agissait d ’ une part essentielle et fondamentale de mon être. Elle ne pouvait l ’ accepter. Un homme et une femme qui ont des
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