Un long chemin vers la liberte
conceptions si différentes de leur rôle respectif dans la vie ne peuvent rester proches l ’ un de l ’ autre.
J ’ essayais de la persuader de la nécessité de la lutte et elle tentait de me persuader de la valeur de la foi. Quand je voulais lui dire que j’étais au service de la nation, elle me répondait qu ’ être au service de Dieu était supérieur. Nous n ’ avions plus grand-chose en commun et je commençais à être convaincu qu ’ on ne pouvait plus sauver notre couple.
Nous nous battions également pour l ’ esprit et le cœur des enfants. Elle voulait qu ’ ils soient religieux et je pensais qu ’ ils devaient être politisés. A chaque occasion, elle les emmenait à l ’ église et leur lisait la littérature de La Tour de garde. Elle donnait même aux garçons des tracts à distribuer dans le township. Je parlais politique avec les garçons. Thembi était membre des pionniers, la section des enfants de l ’ ANC, et il s ’ y connaissait déjà en politique. Avec les termes les plus simples, j ’ expliquais à Makgatho comment l ’ homme noir était persécuté par l ’ homme blanc.
Accrochées aux murs de la maison, il y avait des photos de Roosevelt, de Churchill, de Staline, de Gandhi, et celle de la prise du palais d ’ Hiver à Saint-Pétersbourg en 1917. J ’ expliquais aux garçons qui était chacun de ces hommes et ce qu ’ il défendait. Ils savaient que les responsables blancs d ’ Afrique du Sud défendaient quelque chose de très différent. Un jour, Makgatho est entré dans la maison en courant et a dit : « Papa, papa, il y a Malan en haut de la côte ! » Malan avait été le premier Premier ministre nationaliste et le garçon l ’ avait confondu avec un ministre de l ’ Education bantoue, Willie Maree, qui avait annoncé qu ’ il prendrait la parole lors d ’ un meeting public dans le township. Je suis sorti pour voir de quoi parlait Makgatho, parce que l ’ ANC avait organisé une contre-manifestation. Dehors, j ’ ai vu tout de suite deux cars de police qui escortaient Maree jusqu ’ à l ’ endroit où il avait l ’ intention de parler, mais il y a eu des problèmes dès le début et le ministre s ’ est sauvé sans avoir fait son discours.
A cette époque, j ’ avais un emploi du temps épouvantable. Je quittais la maison très tôt le matin et je rentrais tard le soir. En général, après ma journée de travail, j ’ avais des réunions. Evelyn ne comprenait pas, et elle me soupçonnait de voir d ’ autres femmes quand je rentrais très tard. Je lui expliquais de quelle réunion il s ’ agissait, pourquoi j ’ y avais assisté et de quoi on avait parlé. Mais rien ne pouvait la faire changer d ’ avis. En 1955, elle m ’ a donné un ultimatum : je devais choisir entre elle et l ’ ANC.
Walter et Albertina étaient très proches d ’ Evelyn et ils souhaitaient ardemment que nous restions ensemble. Evelyn se confiait à Albertina. Un jour, Walter a abordé la question et j ’ ai été très sec avec lui. Je lui ai dit de ne pas se mêler de ça. Je regrette la façon dont je lui ai répondu parce que Walter a toujours été un frère pour moi et son amitié et son soutien n ’ ont jamais failli.
Un jour il m ’ a dit qu ’ il voulait amener quelqu ’ un au bureau pour que je le rencontre. Il ne m ’ a pas dit qu ’ il s ’ agissait de mon beau-frère et j ’ ai été surpris de le voir, mais non contrarié. J ’ étais pessimiste à propos de notre mariage et j ’ ai pensé qu ’ il était normal que je lui en fasse part.
Nous parlions cordialement tous les trois et l ’ un de nous, Walter ou moi, utilisa une phrase comme « des hommes tels que nous ». Le frère d ’ Evelyn était un commerçant opposé à la politique et aux hommes politiques. Il s ’ est vexé et nous a dit : « Si vous croyez que vous êtes comme moi, c ’ est ridicule. Ne vous comparez pas à moi. » Après son départ, Walter et moi nous sommes regardés et avons éclaté de rire.
En décembre, quand on nous a arrêtés et emprisonnés pendant quinze jours, j ’ ai reçu la visite d ’ Evelyn. Mais quand, à ma libération, j ’ ai découvert qu ’ elle était partie en emmenant les enfants, je fus désespéré. Elle avait même emporté les rideaux et, je ne sais pas pourquoi, ce petit détail m ’ a brisé. Son frère, qui l ’ avait accueillie, m ’ a dit : « C ’ est sans doute mieux comme ça, quand les
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