Un long chemin vers la liberte
de feu avaient été tirés dans la foule en blessant 400 personnes dont des dizaines de femmes et d ’ enfants. C ’ était un massacre et, le lendemain en première page, les photos publiées dans la presse du monde entier en montrèrent la sauvagerie.
Les coups de feu de Sharpeville entraînèrent une agitation dans tout le pays et une crise gouvernementale. Des protestations indignées arrivèrent du monde entier, y compris du Département d ’ Etat américain. Elles condamnaient le gouvernement pour la fusillade et exigeaient qu ’ il prenne des mesures pour réaliser l ’ égalité raciale. La Bourse de Johannesburg chuta et les capitaux commencèrent à s ’ enfuir du pays. La gauche demanda au gouvernement Verwoerd de faire des concessions aux Africains. Le gouvernement affirma que Sharpeville était le résultat d ’ une conspiration communiste.
Le massacre de Sharpeville créa une situation nouvelle dans le pays. Malgré l ’ amateurisme et l ’ opportunisme de leurs responsables, les militants de base du PAC firent preuve d ’ un grand courage et d ’ une grande force d ’ âme au cours des manifestations de Sharpeville et de Langa. En une seule journée, ils étaient passés aux premiers rangs de la lutte et Robert Sobukwe était salué dans le pays et à l ’ extérieur comme le sauveur du mouvement de libération. A l ’ ANC, nous dûmes faire de rapides adaptations exigées par cette nouvelle situation.
Quelques-uns d ’ entre nous – Walter, Duma Nokwe, Joe Slovo et moi – nous sommes réunis pendant toute une nuit à Johannesburg pour préparer une réponse. Nous savions que, d ’ une façon ou d ’ une autre, nous devions reconnaître les événements et donner aux gens un moyen d ’ exprimer leur colère et leur douleur. Nous transmîmes nos projets au chef Luthuli qui les accepta tout de suite. Le 26 mars, à Pretoria, il brûla publiquement son pass et appela les autres à en faire autant. Il annonça que le 28 mars serait une journée de grève à domicile, et une journée nationale de deuil et de protestation contre les atrocités de Sharpeville. A Orlando, Duma Nokwe et moi, nous brûlâmes nos passes devant des centaines de gens et des dizaines de photographes.
Deux jours plus tard, le 28 mars, le pays répondit de façon magnifique car plusieurs centaines de milliers d ’ Africains obéirent au chef Luthuli. Seule une véritable organisation de masse pouvait coordonner de telles activités et c ’ est ce que fit l ’ ANC. Au Cap, une foule de 50 000 personnes se rassembla dans le township de Langa pour protester contre la fusillade. Des émeutes éclatèrent dans beaucoup d ’ endroits. Le gouvernement décréta l ’ état d ’ urgence, suspendit l ’ habeas corpus et se donna des pouvoirs exceptionnels pour agir contre toute forme de subversion. L ’ Afrique du Sud était maintenant sous la loi martiale.
34
Le 30 mars, à 1 h 30 du matin, j ’ ai été réveillé par des coups violents frappés contre ma porte, la signature très nette de la police. « Le moment est arrivé », me suis-je dit en ouvrant et en découvrant une demi-douzaine d ’ hommes de la police de sécurité armés. Ils ont tout mis sens dessus dessous dans la maison en prenant chaque morceau de papier qu ’ ils trouvaient, y compris les feuilles sur lesquelles je venais de transcrire les souvenirs de ma mère sur l ’ histoire de la famille et des fables tribales. Je ne devais jamais les revoir. Ils m ’ ont arrêté sans mandat et sans me laisser la possibilité d ’ appeler mon avocat. Ils ont refusé de dire à ma femme où ils m ’ emmenaient. J ’ ai simplement fait un signe de tête à Winnie ; ce n ’ était pas le moment des paroles de réconfort.
Trente minutes plus tard, nous sommes arrivés au commissariat de Newlands, que je connaissais bien parce que j ’ y étais venu souvent voir des clients. Il se trouvait à Sophiatown – ou plutôt ce qu ’ il en restait, car de l ’ ancien township très animé ne subsistaient plus que des ruines de maisons détruites au bulldozer et des terrains vagues. A l ’ intérieur, j ’ ai retrouvé beaucoup de collègues qu ’ on avait tirés du lit comme moi et, au cours de la nuit, il en est arrivé d ’ autres ; au matin, nous étions quarante. On nous a entassés dans une petite cour avec le ciel comme toit et une ampoule nue pour nous éclairer, un espace si petit et si humide que nous sommes
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