Un long chemin vers la liberte
« Pour vous, je ne m ’ appelle pas Nelson, mais monsieur Mandela. » Une bataille rangée allait éclater quand on est venu nous prévenir que nous devions partir pour assister au procès de trahison à Pretoria. Je ne savais pas s ’ il fallait rire ou pleurer, mais après trente-six heures de mauvais traitements et la déclaration de l ’ état d ’ urgence, le gouvernement jugeait encore utile de nous ramener à Pretoria afin de poursuivre ce procès désespéré et maintenant apparemment dépassé. On nous a conduits directement à la prison de Pretoria où nous avons été enfermés.
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Pendant ce temps, le procès avait repris en notre absence le 31 mars, mais la barre des témoins resta vide. N ’ y assistaient que les accusés que la police n ’ avait pas réussi à arrêter en fonction de l ’ état d ’ urgence. Le chef Luthuli en était au milieu de sa déposition et le juge Rumpff demanda pourquoi il était absent. On lui dit que le chef avait été arrêté la nuit précédente. Cette information irrita le juge ; il dit qu ’ il ne voyait pas pourquoi l ’ état d ’ urgence devait empêcher le déroulement de son procès. Il exigea que la police amène le chef Luthuli devant le tribunal pour qu ’ il poursuive sa déposition et l ’ audience fut ajournée.
Par la suite, nous avons découvert qu ’ après son arrestation le chef avait été frappé. Alors qu ’ il montait un escalier, un gardien l ’ avait bousculé en faisant tomber son chapeau. Il s ’ était baissé pour le ramasser, on l ’ avait giflé sur la tête et sur le visage. En apprenant cela, nous avons eu du mal à le supporter. Un homme exceptionnel d ’ une très grande dignité, malade du cœur, chrétien très pieux, était traité comme un animal de basse-cour par des hommes qui n ’ étaient pas dignes de lacer ses chaussures.
Quand l ’ audience reprit ce matin-là, le juge Rumpff fut informé que la police refusait d ’ amener le chef Luthuli. Alors, le juge suspendit l ’ audience pour toute la journée et nous nous attendions à rentrer chez nous. Mais après être sortis de l ’ enceinte du tribunal pour trouver un moyen de transport, nous avons été de nouveau arrêtés.
Or, dans son excès de zèle et son manque d ’ organisation habituels, la police fit une erreur comique. Un des accusés, Wilton Mkwayi, un très ancien responsable syndical et membre de l ’ ANC, était venu de Port Elizabeth à Pretoria pour le procès. Il avait été séparé des autres et, quand il s ’ approcha de la porte, il vit l ’ agitation autour de ses compagnons qu ’ on arrêtait ; il demanda à un policier ce qui se passait. Ce dernier lui ordonna de s ’ en aller. Wilton resta là. Le policier répéta son ordre et Wilton lui expliqua qu ’ il était un des accusés. Le policier le traita de menteur en le menaçant de l ’ arrêter pour obstruction à la justice. Et il lui ordonna de nouveau de s ’ en aller. Wilton haussa les épaules, franchit la porte, et ce fut la dernière fois qu ’ on le vit dans un tribunal. Il passa dans la clandestinité pendant les deux mois suivants, puis il quitta le pays en fraude pour réapparaître comme représentant étranger du congrès des syndicats et plus tard il alla suivre un entraînement militaire en Chine.
Cette nuit-là, des détenus venant d ’ autres régions du Transvaal nous ont rejoints. La rafle nationale de la police avait conduit en détention sans procès plus de 2 000 personnes. Ces hommes et ces femmes appartenaient à toutes les races et à tous les partis anti-apartheid. On avait rappelé des soldats, et des unités de l ’ armée avaient été mobilisées et disposées dans des zones stratégiques du pays. Le 8 avril, l ’ ANC et le PAC ont été déclarés illégaux d ’ après la loi sur l ’ interdiction du communisme. Du jour au lendemain, être membre de l ’ ANC était devenu une infraction passible d ’ une peine de prison et d ’ une amende. Poursuivre les objectifs de l ’ ANC entraînait une condamnation qui pouvait aller jusqu ’ à dix ans de prison. Maintenant, même une manifestation non violente qui respectait la loi, mais qu ’ organisait l ’ ANC, était illégale. La lutte venait d ’ entrer dans une nouvelle phase. Nous étions tous des hors-la-loi.
Pendant la durée de l ’ état d ’ urgence, nous sommes restés dans la prison de Pretoria Local dans des conditions aussi mauvaises qu ’ à
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