Un long chemin vers la liberte
temps avant l ’ état d ’ urgence, Oliver avait quitté l ’ Afrique du Sud sur ordre de l ’ ANC. Nous soupçonnions depuis longtemps qu ’ un verrouillage nous menaçait, et l ’ ANC avait décidé que certains membres devaient quitter le pays pour renforcer l ’ organisation de l ’ étranger, dans la perspective de l ’ interdiction totale.
Le départ d ’ Oliver fut une des actions les mieux organisées et les plus heureuses de l ’ organisation. A l ’ époque nous n ’ imaginions pas que la branche extérieure allait devenir absolument vitale. Avec sa sagesse et son calme, sa patience, ses talents d ’ organisateur, sa capacité à diriger et à animer sans écraser personne, Oliver était un choix parfait pour cette tâche.
Avant de partir, il avait engagé un de nos amis, l ’ avocat Hymie Davidoff, pour fermer notre cabinet et régler les dossiers de nos clients. Davidoff demanda au colonel Prinsloo qu ’ il m ’ autorise à aller à Johannesburg pendant le week-end pour que je l ’ aide à mettre les choses en ordre. Dans un accès de générosité, le colonel accepta qu ’ on me conduise à Johannesburg le vendredi après-midi pour travailler au bureau pendant tout le week-end et qu ’ on me raccompagne au procès le lundi matin. Je quittais donc le tribunal le vendredi à une heure avec le sergent Kruger et j ’ allais à Johannesburg pour travailler avec Davidoff et notre comptable Nathan Marcus. Je passais les nuits à la prison de Marshall Square et les journées au bureau.
Le sergent Kruger, un grand type impressionnant, nous traitait de façon correcte. Sur la route entre Pretoria et Johannesburg, il s ’ arrêtait et il allait acheter du biltong {11} des oranges et du chocolat, et me laissait seul dans la voiture. J ’ imaginais que je me sauvais, en particulier le vendredi soir quand les rues et les trottoirs étaient pleins de monde et qu ’ on pouvait se perdre dans la foule. Quand j ’ étais au bureau, je descendais au café et, une ou deux fois, il a tourné la tête quand Winnie est venue me voir. Nous avions une sorte de code de bonne conduite : je ne m ’ évaderais pas, je ne lui créerais pas de problèmes, et lui me laissait une certaine liberté.
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Le 25 avril, la veille de la reprise du procès, Issy Maisels nous réunit pour que nous parlions des graves conséquences de l ’ état d ’ urgence sur la conduite du procès. Les consultations entre les accusés et les avocats étaient devenues pratiquement impossibles. Nos avocats, qui habitaient Johannesburg, avaient des difficultés à nous voir en prison et se trouvaient dans l ’ impossibilité d ’ organiser notre défense. Souvent ils venaient nous voir en voiture pour s ’ entendre dire que c ’ était impossible. Même quand nous pouvions les rencontrer, les consultations étaient perturbées et tournaient court. Plus important encore, Maisels nous expliqua que pendant l ’ état d ’ urgence ceux qui se trouvaient déjà en détention s ’ exposaient à une détention supplémentaire simplement en témoignant, car ils feraient inévitablement des dépositions considérées comme « subversives ». Les témoins de la défense, qui n ’ étaient pas emprisonnés, risquaient de l ’ être s ’ ils témoignaient.
Nos défenseurs nous proposèrent de se retirer en signe de protestation. Maisels nous expliqua les graves implications d ’ un tel retrait et les conséquences si nous assurions nous-mêmes notre défense. Dans l ’ atmosphère d ’ hostilité du moment, nous dit-il, les juges trouveraient peut-être à propos de nous infliger de plus longues peines de prison. Nous avons discuté entre nous de la proposition, et chacun des vingt-neuf accusés – Wilton Mkwayi n ’ était plus là – donna son opinion. La décision fut prise à l ’ unanimité : Duma Nokwe et moi-même, nous remplacerions nos avocats. J ’ étais en faveur de ce geste spectaculaire car il mettait en lumière l ’ iniquité de l ’ état d ’ urgence.
Le 26 avril, Duma Nokwe, le premier avocat africain du Transvaal, se leva et fit la déclaration sensationnelle suivante : les accusés demandaient à leurs avocats de ne plus assurer leur défense. Alors Maisels dit simplement : « Nous n ’ avons plus de mandat des accusés et, par conséquent, monsieur le président, nous ne vous importunerons plus. » A la suite de quoi, l ’ équipe des défenseurs sortit en silence de la
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