Un long chemin vers la liberte
parce qu’à un certain moment elle se tourna vers moi et me dit : « Tu es Mandela ou tu es le procureur ? »
Il y eut d’autres moments drôles, dont certains nous réconfortaient. J’avais le droit d’aller voir Helen Joseph pendant le week-end pour lui apporter ses comptes rendus des débats. A ces occasions, je rencontrais d’autres détenues et je parlais avec elles pour en faire des témoins éventuels. J’étais toujours très aimable avec les gardiennes blanches et je remarquai que mes visites déclenchaient un très grand intérêt. Les gardiennes ne savaient pas qu’il existait des avocats ou des médecins noirs et elles me regardaient comme une créature exotique. Mais quand elles me connurent mieux, elles devinrent plus amicales et plus à l’aise et je plaisantai avec elles en leur disant que je réglerais tous leurs problèmes juridiques. Voir des femmes blanches instruites parler de choses sérieuses avec un Noir sur une base d’égalité parfaite ne pouvait qu’affaiblir la croyance en l’apartheid des gardiennes.
Une fois, pendant une longue conversation avec Helen, j’ai dit à la gardienne qui devait rester assise près de nous : « Je suis désolé de vous ennuyer avec cette consultation interminable. — Non, a-t-elle répondu. Vous ne m’ennuyez pas du tout, ça m’intéresse. » Je voyais qu’elle suivait notre conversation et une fois ou deux elle a même fait de petites suggestions. Je considérais cela comme le côté positif du procès. La plupart de ces gardiennes ne savaient absolument pas pourquoi nous étions en détention et, petit à petit, elles découvraient les raisons de notre combat et pourquoi nous acceptions de risquer la prison.
C’était précisément pour cela que le Parti national s’opposait violemment à toute forme d’intégration. Seul un électorat blanc qu’on avait endoctriné avec le péril noir et qui ignorait les idées et la politique des Africains pouvait soutenir la monstrueuse philosophie raciste du Parti national. Dans ce cas, la familiarité n’engendrait pas le mépris mais la compréhension et même au bout du compte l’harmonie.
En prison, les moments heureux ne compensaient pas les moments tristes. Winnie eut l’autorisation de venir me voir plusieurs fois quand j’étais à Pretoria et elle amenait Zenani, qui commençait à parler et à marcher. Si les gardiens me le permettaient, je la prenais dans mes bras et l’embrassais et, vers la fin de la rencontre, je la redonnais à Winnie. Nous nous disions au revoir ; Zenani me faisait souvent signe de venir avec elles, et je voyais sur son petit visage étonné qu’elle ne comprenait pas pourquoi je restais là.
Au tribunal, Farid Adams menait très adroitement la déposition d’Helen. Il s’opposait fréquemment aux juges avec beaucoup de compétence. Nous avions trouvé une nouvelle énergie : personne ne faisait plus de contre-interrogatoire pour passer le temps. Au fur et à mesure que les accusés interrogeaient les témoins, le ministère public et l’accusation commencèrent à se rendre compte pour la première fois de la véritable dimension des hommes et des femmes qu’on jugeait.
D ’ après la législation sud-africaine concernant la Cour suprême, Duma, en tant que responsable de la défense, avait seul le droit de s ’ adresser directement aux juges. Moi, en tant qu ’ avocat, je pouvais lui donner des informations mais, techniquement, je n ’ avais pas le droit de m ’ adresser à la cour, ni à aucun des autres défenseurs. Nous avions récusé nos avocats parce que les accusés, en l ’ absence de représentation, devaient pouvoir s ’ adresser à la cour. Je m ’ étais adressé à la cour et le juge Rumpff, dans l ’ espoir de nous contrecarrer, m ’ avait interrompu. « Vous reconnaîtrez, monsieur Mandela, que M. Nokwe, en sa qualité de responsable de la défense, est le seul autorisé à s ’ adresser à la cour. » Je lui avais répliqué : « Très bien, monsieur le président, je crois que nous sommes tous d ’ accord pour respecter ce principe si vous êtes disposé à payer les honoraires de M. Nokwe. » A partir de là, personne ne s ’ opposa plus à ce que les accusés s ’ adressent tous aux juges.
Tandis que Farid interrogeait Helen et les témoins suivants, Duma et moi, nous étions assis de chaque côté de lui, et nous lui proposions des questions en l’aidant à résoudre
Weitere Kostenlose Bücher