Un long chemin vers la liberte
synagogue. Cela ébranla les trois juges, qui nous avertirent dans les termes les plus clairs des dangers que nous prenions à assurer nous-mêmes notre défense. Mais nous étions en colère et nous avions envie de nous battre contre l ’ accusation. Pendant les cinq mois suivants, presque jusqu ’ à la fin de l ’ état d ’ urgence, nous avons conduit notre propre défense.
Notre stratégie était simple et défensive : faire durer le procès jusqu ’ à ce que l ’ état de siège soit levé et que nos avocats puissent revenir. Le procès se poursuivait déjà depuis si longtemps que ça ne semblait pas avoir beaucoup d ’ importance s ’ il s ’ allongeait encore. En pratique, cette stratégie devint assez comique. D ’ après la loi, chacun de nous avait maintenant le droit d ’ assurer sa propre défense ainsi que d ’ appeler chaque autre accusé comme témoin ; et chaque accusé avait le droit de procéder à un contre-interrogatoire avec chaque témoin. Nous étions classés par ordre alphabétique et l ’ accusé numéro un était Farid Adams, du Congrès indien de la jeunesse du Transvaal. Farid commença en appelant l ’ accusée numéro deux, Helen Joseph, comme premier témoin. Après avoir été interrogée par Farid, Helen dut répondre aux questions des vingt-sept autres coaccusés. Ensuite, l ’ accusation procéda à un contre-interrogatoire et l ’ accusé numéro un la réinterrogea. Adams appela alors l ’ accusé numéro trois, et ainsi de suite, et toute la procédure se démultiplia ainsi jusqu ’ à ce que le dernier accusé soit appelé. A cette allure, le procès durerait jusqu ’ à la fin du millénaire.
Il n ’ est jamais facile de préparer un procès en prison, et en l ’ occurrence nous étions gênés par les barrières habituelles de l ’ apartheid. Tous les accusés avaient besoin de se rencontrer, mais le règlement de la prison interdisait les réunions entre prisonniers hommes et femmes, et entre Noirs et Blancs, et nous n ’ avions pas le droit de nous consulter avec Lilian Ngoyi, Leon Levy, Bertha Mashaba et Helen Joseph.
Helen, en tant que premier témoin à être appelé, avait besoin de préparer sa déposition en présence de Duma, de moi et de Farid Adams puisque nous devions l ’ interroger. Après de longues négociations avec la direction de la prison, nous avons pu avoir des consultations dans des conditions très strictes. Helen Joseph, Lilian, Leon et Bertha étaient ramenées de leurs différentes prisons et sections (séparées par la race et le sexe) et conduites dans le bâtiment des Africains. Comme première condition, il ne devait y avoir aucun contact entre prisonniers blancs et noirs et entre hommes et femmes. Les autorités firent poser une grille pour séparer Helen et Leon (en tant que Blanches) de nous, et une seconde grille pour les séparer de Lilian qui participait aussi aux préparations. Même un grand architecte aurait eu du mal à concevoir une telle structure. En prison, nous étions séparés les uns des autres par ce dispositif métallique élaboré, alors qu ’ au tribunal nous pouvions nous mêler librement.
Nous avons d ’ abord dû enseigner à Farid le cérémonial du tribunal et faire répéter à Helen son témoignage. Pour aider Helen, je jouai le rôle que Farid jouerait devant la cour. Je fis semblant d ’ être au tribunal et je commençai l ’ interrogatoire.
« Nom ?
— Helen Joseph.
— Age ? »
Silence. Je répétai : « Age ? »
Helen fit la moue et attendit. Puis, après quelques instants, elle me regarda de travers et me dit sèchement : « Je ne vois pas ce que mon âge vient faire dans ce procès, Nelson. »
Helen était aussi charmante qu ’ elle était courageuse, mais elle avait aussi un côté intraitable. C ’ était une femme d ’ un certain âge, très sensible sur cette question. Je lui expliquai que c ’ était l ’ habitude de noter tous les détails concernant le témoin, tels que son âge, son adresse et son lieu de naissance. L’âge d’un témoin aide la cour à évaluer un témoignage et influence la sentence.
Je repris : « Age ? »
Helen se raidit : « Nelson, dit-elle, je le dirai quand je serai devant le tribunal mais pas avant. Continuons. »
Je lui posai alors une série de questions auxquelles elle pouvait s’attendre de la part de l’accusation, mais d’une façon peut-être trop réaliste pour elle,
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